Une nouvelle orientation pour une OTAN plus européenne

Lorsqu’en 2021, en tant que ministre espagnol des Affaires étrangères, j’ai proposé au secrétaire général de l’OTAN, M. Jens Stoltenberg, que l’Espagne accueille le sommet de 2022, je ne pouvais pas prévoir les circonstances très particulières auxquelles l’alliance est confrontée aujourd’hui. Je ne pouvais pas imaginer à quel point le sommet de Madrid serait décisif pour la paix et la stabilité en Europe.

C’est la deuxième fois que l’Espagne accueille un sommet de l’OTAN. La première fois, c’était en 1997. À cette occasion, l’OTAN avait décidé d’inviter la République tchèque, la Hongrie et la Pologne à entamer des négociations d’adhésion. C’était la première fois que des pays de l’ancienne orbite de l’Union soviétique étaient invités. Ce fut également l’occasion de lancer un accord de partenariat entre l’OTAN et l’Ukraine, très proche de celui signé précédemment avec la Russie. La vision était celle d’une Europe unie.

Être pour la deuxième fois pays hôte d’un sommet de l’OTAN n’est pas fréquent : seuls six autres pays l’ont fait auparavant. Mais 2022 marque le 40e anniversaire de l’adhésion de l’Espagne à l’organisation, une occasion de célébrer ce qu’elle a signifié pour l’Espagne, ainsi que de contribuer à l’adaptation de l’alliance à un contexte plus géopolitique.

Ces 40 dernières années ont été marquées par des changements majeurs en matière de sécurité et de défense en Espagne. Le pays a modernisé ses forces armées, qui servent aujourd’hui dans 17 missions à travers le monde. Les plus gros contingents se trouvent au Liban et au Mali. Les troupes espagnoles participent également à la présence avancée renforcée de l’OTAN en Turquie, ainsi qu’à la mission de formation en Afghanistan, qui est désormais terminée. En un mot, l’adhésion à l’OTAN a entraîné une transformation des forces armées espagnoles pour le mieux.

Le sommet de Madrid avait également pour objectif fondamental de renforcer l’alliance transatlantique en apaisant les divisions et les frustrations de l’ère Trump. Le président américain avait retiré son pays du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, des accords de Paris sur le climat, de l’UNESCO, et avait menacé de faire de même avec l’OTAN. Malgré la sortie désordonnée de l’Afghanistan, l’arrivée de Biden à la présidence a été une bouffée d’air frais. Le président Biden avait la tâche de recomposer la politique étrangère américaine, en la réorientant vers le multilatéralisme et vers une défense ferme de l’OTAN. Je suis convaincue que l’Espagne et l’ensemble de l’Union européenne seront aux côtés des États-Unis dans cette entreprise.

Mais la guerre en Ukraine a bouleversé l’agenda initial. Nous nous situons à un tournant avec le retour de la compétition de puissance, et le retour des conflits militaires entre États sur le sol européen. L’illusion d’une suprématie militaire occidentale après la chute du mur de Berlin, qui nous protégerait des conflits sur un continent qui a connu deux guerres mondiales et une guerre froide, a été brisée.

Dans ce contexte, le sommet de Madrid visait à donner une nouvelle orientation à l’OTAN avec l’adoption du « concept stratégique de Madrid ». Le dernier a été adopté à Lisbonne, en 2010, et il n’a pas bien vieilli comme le montrent ses premiers paragraphes. On y lit :  » Aujourd’hui, la zone euro-atlantique est en paix et la menace d’une attaque conventionnelle contre le territoire de l’OTAN est faible. C’est un succès historique pour les politiques de défense robuste, d’intégration euro-atlantique et de partenariat actif qui guident l’OTAN depuis plus d’un demi-siècle ». Ces phrases ne se lisent pas bien quand on se souvient que, déjà en 2008, la Géorgie et la Russie s’étaient disputées l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie dans une guerre qui a duré cinq ans et fait plus de 800 victimes, et que, déjà en, 2014 la Russie avait annexé la Crimée.

La nouvelle orientation de l’OTAN doit tenir compte de l’évolution du paysage mondial et de la définition des nouveaux risques géopolitiques auxquels l’alliance est confrontée :

Le retour du risque d’une attaque conventionnelle contre l’alliance, comme l’a démontré la guerre en Ukraine. La Russie de Poutine est une menace claire pour l’OTAN.

L’augmentation de la désinformation et des menaces pour la cybersécurité, ainsi que la militarisation de la migration à presque toutes les frontières des alliances en Europe, au nord, à l’est et au sud. Ces menaces hybrides cherchent à obtenir des résultats sans avoir à mener une véritable guerre, en opposant des sociétés – et non des armées – les unes aux autres, en brouillant la distinction entre combattants et citoyens. Elles cherchent à exploiter les vulnérabilités économiques, politiques, diplomatiques et technologiques, en brisant des communautés, des systèmes électoraux ou des réseaux énergétiques.

Les risques liés au changement climatique sont en augmentation. La sécurité et le climat sont les deux faces d’une même médaille et le changement climatique est un « multiplicateur de crises » qui rendent notre monde plus dangereux, accroissent la concurrence pour des ressources rares comme l’eau et le sol et obligent des millions de personnes à fuir leur foyer. La lutte contre le changement climatique doit être une priorité pour les membres de l’alliance.

Le « facteur Chine » : d’une part, de nombreux défis auxquels le monde est confronté, du changement climatique aux océans, de la stabilité financière au commerce, ne peuvent être relevés efficacement sans la Chine. D’autre part, la Chine promeut d’autres modèles de gouvernance qui entrent en conflit avec ceux de l’alliance. Partenaire », « concurrent » et « rival systémique » : c’est ainsi que l’Union européenne définit le géant asiatique ; la question est de savoir quelle proportion l’OTAN accorde à chacun de ces trois éléments.

Terrorisme : jusqu’aux attentats du 11 septembre aux États-Unis, le terrorisme était considéré comme un problème essentiellement national, hors du champ d’action de l’OTAN, qui se concentrait exclusivement sur la défense collective. Mais l’attaque brutale contre les États-Unis, suivie par Casablanca, Madrid, Londres, Bali, Mumbai et bien d’autres, a confirmé la nécessité de changer d’approche et de considérer le terrorisme comme une menace réelle pour la sécurité euro-atlantique.

Aujourd’hui, un épicentre important de cette menace se trouve au Sahel, une vaste zone où les perspectives de gagner la guerre contre le terrorisme sont plutôt faibles à moyen ou à court terme. En termes de sécurité, le Sahel est l’une des zones les plus difficiles et les plus déstabilisantes au monde.

Ces défis étant intégrés dans l’orientation future de l’Alliance, l’OTAN du futur doit être capable de répondre à trois grandes questions :

La première question concerne l’articulation entre l’OTAN et la défense européenne. Il est grand temps de sortir du vieux débat sur les risques de duplication ou de chevauchement. L’européanisation de l’OTAN, après l’entrée de la Finlande et de la Suède, ainsi que l’adhésion du Danemark au cadre européen de sécurité et de défense, doit conduire à une plus grande responsabilité et à des investissements accrus de l’Europe dans sa propre défense, à commencer par son industrie, mais aussi la défense des flancs est et sud, où se situent les risques les plus tangibles pour sa sécurité.

La deuxième question porte sur la définition du cadre d’action de l’OTAN. Il s’agit d’un défi essentiel pour l’organisation, qui fera l’objet d’un examen approfondi, notamment en raison de l’empreinte européenne accrue de l’OTAN. Les avis divergent au sein de l’alliance quant au rôle que l’OTAN devrait jouer dans la région indo-pacifique, en ce qui concerne la Chine. Je pense qu’il serait plus sage de prévenir que de guérir. Le moment est peut-être venu d’établir un forum de coopération permanent avec la Chine, fondé sur la transparence et cherchant à créer des espaces de dialogue. Être ferme sur les intérêts et les valeurs, mais être également ouvert à la discussion. Avec une Chine qui se renforce économiquement, militairement et technologiquement, l’alternative nous conduirait à une fragmentation de l’ordre international. Ce qui précipiterait très probablement les conflits mêmes que nous cherchons à éviter.

La troisième question à laquelle l’OTAN doit répondre concerne la dissuasion, et en particulier la dissuasion nucléaire, qui a constitué un pilier essentiel de notre doctrine de défense. Les dommages mutuels que deux nations pouvaient s’infliger constituaient une ligne rouge que personne n’était prêt à franchir – ou, du moins, c’est ce que nous croyions. En Ukraine, la dissuasion est formellement présente, mais elle ne nous a pas empêchés d’être en conflit avec la Russie. Mais surtout, la guerre en Ukraine va accélérer une course aux armements et conduire à la prolifération nucléaire dans un monde qui, dans le même temps, est moins régi par le droit international. L’alliance devrait redéfinir le concept de dissuasion. L’européanisation de l’OTAN devrait ouvrir d’autres voies, comme la dissuasion économique ou le pouvoir normatif de l’UE.

La redéfinition de l’OTAN sera un élément essentiel pour construire la sécurité, la paix et la liberté à moyen et long terme. Le « facteur européen » est important. Il peut apporter une vision nouvelle de la nécessité d’investir dans le bien-être des sociétés, dans la diplomatie et dans un dispositif militaire moderne qui nous éloigne de la nécessité de choisir entre les guerres éternelles et l’anéantissement.

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