Les élections fédérales allemandes de 2021
En quoi ces élections sont-elles différentes pour les Verts allemands que les précédentes ?
Le changement opéré depuis 2017 chez les Verts est assez impressionnant, une époque où ils étaient à 7-8%, donc autant dire pas grand-chose quand on sait qu’il faut 5% pour entrer au Parlement. Ils avaient deux candidats, Katrin Göring-Eckardt et Cem Özdemir, qui étaient plus du courant de la Realpolitik, aile conservatrice je dirais. Et cela a vraiment changé en 2021.
Premièrement, il y a un regain d’intérêt sur le sujet du changement climatique, avec des mouvements comme Friday For Future notamment, et le fait que la Commission européenne l’a également affiché comme une priorité c’est devenu un vrai sujet de société. Ils sont aujourd’hui aux alentours de 18-19% et ceci est aussi dû à la présidence de Robert Habeck et Annalena Baerbock. Les deux chefs du parti, depuis 2018, ont fait un très bon travail de fond et ont surpassé les divisions internes préexistantes.
Les sujets européens semblent peu présents dans les débats ventre candidats pendant cette campagne alors que les enjeux n’ont sans doute jamais été aussi importants, est-ce l’héritage des années Merkel, accusée de manquer de vision stratégique au niveau européen ?
Le fait que les questions européennes ne jouent pas de rôle dans l’espace public allemand et surtout pendant les élections n’est pas nouveau. L’Union européenne ne joue jamais de rôle dans les élections nationales. En France, seul Emmanuel Macron avait décidé de manière consciente de mettre l’UE au sein de sa campagne ; en Allemagne cela n’arrive jamais. Je pense que c’est une énorme erreur car non seulement le nouveau gouvernement va jouer un rôle très important pour l’Union européenne et l’Union européenne va jouer un rôle très important pour les citoyens allemands. Les positions des partis politiques allemands sur l’UE devraient être un élément central de la campagne pendant les élections nationales.
Le fait qu’Angela Merkel n’adopte pas de vision stratégique forte est une critique récurrente, d’un autre côté beaucoup expliquent qu’elle était très bonne dans la ges- tion de crise, qu’elle était très pro-européenne et qu’elle a su surmonter les divisions au niveau européen. Rien ne dit que ce manque de vision stratégique joue vraiment un rôle dans ces élections. À mon avis, comme ailleurs, on ne perçoit pas l’Europe comme un sujet central. Bruxelles semble encore trop loin.
Il était d’ailleurs intéressant d’observer qu’en 2017, lors de la signature de l’accord de coalition après les élections, malgré le fait que le candidat des sociaux-démocrates était Martin Schulz, ancien président du Parlement européen, et qui pour le coup avait mis le sujet européen plus en avant pendant la campagne, l’Europe n’occupait une place largement symbolique dans l’accord de coalition : seulement quatre pages y étaient dédiées.
Comment l’Allemagne pense-t-elle l’Europe et son propre rôle dans l’UE ?
C’était assez intéressant de l’observer lors de la dernière présidence allemande du Conseil, l’Allemagne se voyait dans un rôle de modération. C’est-à-dire que l’Allemagne ne défend pas uniquement ses intérêts nationaux – ce qu’ils font beaucoup en réalité, sans le dire tout haut – en se positionnant comme des négociateurs dans l’objectif de trouver des compromis avec cette image du grand pays qui va essayer d’unir l’UE dans un moment de crise aussi important qu’était la crise du Covid-19. Sur ce point, je pense qu’ils ont bien réussi avec l’accord sur le plan de relance décidé en décembre 2020. C’est vraiment l’image que l’Allemagne a d’elle-même.
Cependant, demeure un point critique : le rôle prépondérant que joue l’Allemagne dans l’UE en étant le pays économiquement et démographiquement le plus puissant, avec un poids politique encore plus important. En observant l’augmentation des inégalités, en particulier économiques, entre les pays européens, cela devient de plus en plus problématique.
Dans le débat public en Allemagne, cette notion de puissance est également quasiment absente, notamment pour des raisons historiques. L’Allemagne a du mal à se considérer comme puissance, c’est un sujet qui reste un peu tabou malheureusement.
Justement, est-ce que la crise survenue en Afghanistan, où l’Europe a manqué de leadership, peut-être une occasion pour l’Allemagne d’assumer ce rôle de leader ?
Il n’y a rien de nouveau dans le fait que l’UE ne joue pas de rôle dans les crises internationales, mis à part parfois sur le plan humanitaire, mais pas sur le plan géostratégique. Et Bruxelles s’en rend compte. Le problème est bien sûr que l’Allemagne n’aime pas se mêler d’affaires de défense extérieure. L’UE se rend compte aussi qu’au sein de la relation transatlantique il n’y aura pas de retour à l’avant Trump, les États- Unis adoptaient déjà une position plus isolationniste sous Obama. Ce qui pose la question de l’autonomie stratégique européenne et l’Allemagne reste, à mon sens, trop prudente sur ce sujet.
Et d’un point de vue général, il faut se rappeler que nous venons de traverser dix ans de crises – financières, migratoires, le Brexit et aujourd’hui le Covid-19 – et que l’Allemagne s’en est toujours bien sortie et a même accru son pouvoir au sein de l’UE. L’Allemagne n’aime pas le dire mais c’est un fait et il serait temps de trouver un meilleur équilibre, notamment de pouvoir, aujourd’hui avec les autres membres de l’UE.
Comme à chaque élection, plusieurs scénarios de coalition sont possibles, avec quatre principaux partis (CDU/CSU, SPD, Verts, FDP), quels sont les sujets qui pourraient compliquer ces négociations ?
Avant d’évoquer les différents scénarios de coalition, il faut souligner que les sondages, contrairement à d’autres élections, sont très incertains et il va falloir s’attendre à de très longues négociations comme en 2017.
Concernant les coalitions, un scénario à trois partis semble le plus probable. On pourrait avoir la coalition « Jamaïque » (d’après les couleurs des partis politiques allemands), les conservateurs, les Verts et le FDP. Dans ce cas, je pense que le point de friction sera le climat, en particulier l’énergie malgré l’accord récent avec les Etats Unis sur Nord Stream 2. Les Verts auront du mal à transiger sur ces questions. L’autre coalition possible serait celle des « feux de circulation », avec les sociaux-démocrates, les Libéraux et les Verts. Ici, les sociaux-démocrates et les Verts auront moins de souci pour trouver des points d’entente, ce sera plus compliqué avec les libéraux, notamment sur les sujets économiques comme les impôts ou les retraites, ou sur la zone euro et le marché unique.
Et enfin, une dernière option qui serait très à gauche, avec Die Linke, les sociaux-démocrates et les Verts, où le sujet de discorde serait la politique étrangère. Die Linke souhaite sortir de l’OTAN, refuse tout intervention militaire et plaide quasiment pour la suppression de l’armée allemande. Même si les Verts ont des positions également humanistes sur le sujet militaire, ils n’arrivent pas aux mêmes positions et les sociaux-démocrates ne partagent du tout cette vision non plus.
La question de l’État de droit, et ses valeurs, pourrait également entrer en compte, notamment entre les Verts et les conservateurs
En effet, mais ces points constituent, à l’heure actuelle, davantage un sujet européen et les sujets européens – on l’a vu – sont absents de la campagne nationale. Toutefois, au niveau européen, il pourrait y avoir des problèmes de stratégie car les conservateurs ne seraient pas du tout d’accord avec la vision plus activiste, des Verts par exemple, qui veut que l’UE combatte l’autoritarisme dont font preuve les gouvernements de Hongrie ou de Pologne en ce moment.
Quelques mois avant la présidence française du Conseil et l’élection présidentielle, quels sont les enjeux de ces élections pour la relation franco-allemande en particulier ?
L’essentiel se jouera probablement pendant l’élection française en réalité car les enjeux ne sont pas du tout les mêmes.
En Allemagne, même si l’Europe est peu présente dans la campagne, tous les candidats à la chancellerie et tous les principaux partis dont nous avons parlé sont pro-européens d’une façon ou d’une autre. Donc je ne pense qu’il y a du souci se faire sur ce point. Sur la relation franco-allemande, cela pourrait devenir compliqué si les libéraux décident d’entrer dans une coalition et demandent le retour aux règles fiscales du pacte de stabilité et de croissance par exemple, mais ce n’est pas nouveau.
Finalement, ce qui importe c’est l’accession du Rassemblement national au pouvoir en France. Les relations franco-allemandes deviendront beaucoup plus compliquées et je me demande même si les Allemands ont une stratégie pour cela. Je ne pense pas qu’ils soient réellement préparés pour un tel scénario.
Le nom du futur Président français sera donc presque plus important que le résultat des législatives en Allemagne, à mon avis, pour la relation franco-allemande.
Et pour les dynamiques européennes en général, pensez-vous que, selon le résultat, l’Allemagne pourra dépasser cette position de puissance modératrice ou bien s’affirmer dans un rôle de leader ?
C’est tout autant une bonne question qu’il est difficile d’y répondre. Angela Merkel joue un rôle de premier plan depuis 16 ans au Conseil européen, elle connait tous les chefs d’États et de gouvernements et dispose d’une immense expérience en matière de négociation. Difficile d’imaginer la place qui sera réservée au nouveau ou à la nouvelle chancelière. Tous les candidats me semblent faire preuve de bonne volonté, la question est bien sûr de savoir s’ils vont y arriver sur le plan européen. L’autre inconnue, en lien avec votre question précédente, est de savoir s’ils réussiront à gérer une relation franco-allemande qui peut changer du tout au tout. Si Emmanuel Macron est réélu, il pourrait se positionner dans un rôle de leader européen à la suite d’Angela Merkel. Si c’est un parti eurosceptique, difficile à dire.
Il ne faut pas sous-estimer le changement que va représenter le départ d’Angela Merkel. Il y a un élément dont on se rend assez peu compte, en dehors de l’Allemagne, c’est la marge de manœuvre dont faisait preuve Angela Merkel sur son parti. Elle était tellement puissante et populaire – encore aujourd’hui elle a 80% d’opinions favorables après 16 ans de pouvoir – qu’elle était en capacité, au sein de son parti, de décider où aller. Tout le monde a entête le sujet migratoire en 2015, pour ne citer que ce cas. Cela ne sera probablement pas possible pour le ou la prochaine chancelière, quel que soit le parti. Cela devrait être toutefois encore plus difficile si c’est Armin Laschet qui sort victorieux du scrutin car il s’agit du candidat le plus contesté au sein de son parti. Cette absence de marge de manœuvre pourrait jouer au niveau européen.