Les Lumières de Mathilde Ciulla : Un moteur franco-italien pour l’Europe

1. L’Italie est le premier bénéficiaire des fonds dans le cadre du plan de relance européen (près de 200 milliards), son président du Conseil auréolé de sa gloire de sauveur de l’euro se présente en grand réformateur de la Péninsule et contribue à remettre l’Italie au centre du jeu européen, sa gestion du Covid a été plutôt bonne pour un pays qui a été parmi les plus touchés de l’UE, et des élections municipales récentes ont marqué un recul des partis populistes. On a l’impression que c’est un moment plutôt favorable pour l’Italie par-delà toutes les difficultés qui subsistent. Confirmez-vous ce sentiment ?

Je suis d’accord avec cette impression : je pense que la stabilité et la stature européenne et internationale de Mario Draghi ont fait beaucoup de bien à la polarisation italienne. La capacité du pays à être à l’origine du plan de relance européen, aux côtés de la France qui a ensuite joué un jeu d’intermédiaire pour s’assurer le soutien de l’Allemagne, a aussi redonné aux Italiens l’impression de compter sur la scène européenne et que leur voix était enfin prise en compte sur des questions économiques, après les vagues d’austérité des années 2010 ou encore les difficultés budgétaires présentes sous les précédents gouvernements. Des difficultés subsistent bien évidemment et l’ élection du Président de la République italienne, qui arrive au début de l’année prochaine, ajoute un élément d’incertitude – certains parlent d’une possibilité pour que Mario Draghi s’y présente. Ceci replongerait le pays dans une situation d’instabilité s’il était élu : il est en effet celui qui permet à l’alliance entre des forces politiques très diverses de tenir au Parlement, et tout risquerait d’être à refaire s’il part. Il est également celui qui, avec sa grande connaissance des arcanes européennes, est vu comme le garant des fonds européens pour un pays qui a maintes fois été en conflit avec les institutions européennes en ce qui concerne l’accession et l’utilisation des fonds européens.

2. Ce changement de situation et d’équipe dirigeante peut-il contribuer à améliorer les relations entre les partenaires étroits que sont la France et l’Italie qui ont connu ces dernières années des épisodes de tension parfois vifs, ce qui avait même en son temps conduit à un rappel de l’ambassadeur depuis Rome, mais citons par exemple l’affaire Fincantieri/chantiers de l’Atlantique, les tensions frontalières récurrentes, les déclarations assez provocatrices de membres du gouvernement Italien. Quel sera selon vous l’impact du traité du Quirinal qui encadrera les relations entre les deux pays sur le modèle du traité de l’Elysée entre France et Allemagne?

Il semblerait en effet que la nouvelle équipe dirigeante ait permis que les relations entre la France et l’Italie s’apaisent au cours des derniers mois. Il faut tout de même préciser qu’Emmanuel Macron a toujours eu de relativement bonnes relations avec Sergio Mattarella, l’actuel Président de la République italienne, et que les difficultés dans les relations ont eu lieu quand le Mouvement 5 Etoiles et la Ligue du Nord étaient tous deux au gouvernement.

La signature de ce traité est toutefois capitale de mon point de vue : il permet de ramener au même niveau la relation franco-italienne et la relation franco-allemande, répondant ainsi au sentiment d’infériorité que peuvent parfois ressentir les Italiens. En effet, le traité du Quirinal permet la mise en place de relations institutionnelles plus poussées, à tous les niveaux hiérarchiques, depuis des sommets réguliers entre ministres à une commission interparlementaire et à des échanges renforcés aux niveaux techniques. Ces échanges existaient bien évidemment déjà mais le traité permet leur structuration et institutionnalisation. Par ailleurs, ils auront lieu dans de nombreux sujets différents comme indiqué dans le traité, ce qui permettra également une meilleure pénétration des sociétés française et italienne entre elle, une meilleure connaissance et ainsi, à terme, une meilleure compréhension entre les deux pays.

3. En quoi un rééquilibrage des relations entre France et Italie pourrait-il contribuer également à redéfinir les équilibres européens et notamment faire évoluer le couple franco-allemand ? Pensez-vous que le président Macron va saisir l’occasion de la présidence du Conseil de l’UE pour marquer l’importance de ce renouveau dans les relations entre la France et l’Italie ?

Ce rééquilibrage des relations est à mon avis essentiel pour l’avenir de l’Union européenne et la cohésion entre les États membres. La crise du Covid nous a à nouveau montré – comme l’avaient fait les crises financières de 2008 et 2010 – combien les États européens pouvaient vivre des expériences différentes et combien leurs systèmes, malgré leurs interdépendances pouvaient être différents. Mais, à la différence des crises précédentes, le plan de relance est une initiative qui servira autant les États du Sud, plus touchés par la crise, que les États frugaux du Nord, initialement réticents. Un duo franco-italien fonctionnel a ainsi pu faire évoluer positivement le reste de l’Union. Par ailleurs, je doute que l’Italie aurait été inclue dans les échanges de ces derniers jours entre certains États membres de l’UE et les États-Unis au sujet de la situation à la frontière de l’Ukraine et dans les tentatives d’une médiation avec la Russie, si la relation entre la France et l’Italie ne s’était pas considérablement renforcée au cours des derniers mois – c’est également une preuve supplémentaire que la stature internationale de Mario Draghi a un impact sur les équilibres au sein de l’Union.

La Présidence française de l’Union européenne à partir de janvier 2022 coïncidant avec l’élection présidentielle française, Emmanuel Macron et les officiels français en charge de ce programme auront d’autant moins de temps pour mettre en place un programme de priorités qui semble chargé. L’Elysée aurait tout intérêt à inclure les États membres de l’Union avec lesquels la France sait pouvoir travailler efficacement afin de s’assurer que les dossiers qui lui semblent prioritaires puissent avancer au cours des six mois et que les divisions au sein des institutions ne se renforcent encore. Et il est évident qu’il existe de multiples sujets sur lesquels l’Italie pourrait aider, que ce soit sur le numérique ou sur les questions d’autonomie stratégique européenne.

4. L’avenir de l’Europe préoccupe à nouveau, mais la Conférence qui se penche cette année sur ce thème entend le faire de façon positive. Ne pensez-vous pas que cet avenir se joue aussi et peut-être surtout à Rome, la capacité qu’aura l’Italie d’engager un train de réformes structurelles et de se relancer décidant de l’avenir, au moins à moyen terme, de l’Union ?

Il est certain que la capacité des États aux économies les plus touchées par la crise sanitaire à remonter la pente sera des plus importantes au cours des prochains mois. Mais Rome a également un rôle à jouer alors que sa voix est davantage entendue actuellement qu’elle l’était ces dernières années : montrer le chemin pour d’autres États membres qui pourraient parfois être un peu plus silencieux ou impressionnés par un couple franco-allemand qu’on entend beaucoup. Si des États, tels que l’Italie, étaient davantage force de proposition et allaient également à la rencontre d’autres États membres pour constituer des coalitions poussant pour des sujets leur tenant à cœur – que ce soient des sujets sur le climat, le multilatéralisme ou le socle commun de l’Union – l’UE serait certainement plus à même de faire face à des blocs qui se sont constitués à l’intérieur de l’Union (tel que le groupe de Visegrad) et qui dictent parfois l’agenda. L’avenir de l’Europe dépend également des États qu’on entend moins – et de la capacité de la France à leur tendre la main, à former des coalitions qui pourront soutenir ses initiatives et les défendre face à de potentiels détracteurs.

Mathilde Ciulla est la coordinatrice de programme du bureau de Paris du think tank « European Council of foreign relations » (ECFR).
Elle a réintégré le bureau de Paris en novembre 2019 après avoir travaillé pour l’équipe de politique étrangère de l’ambassade britannique à Paris. Elle est également rédactrice littéraire pour le «Untitled Mag».
Elle est diplômée de La Sorbonne Nouvelle en relations internationales, avec une spécialisation en études européennes, politique européenne et sciences politiques. Elle a été rédactrice en chef du magazine étudiant Eurosorbonne.

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