Les Lumières de Clémence Pèlegrin

Les Lumières de Clémence Pèlegrin

Clémence Pèlegrin, coordinatrice de l’ouvrage « Dans l’urgence climatique. Penser la transition énergétique », coll. Folio, éd.Gallimard (2022) nous apporte ses lumières sur le Vote « Objectif 55 » du Parlement européen.

Le Parlement européen a approuvé, dans le cadre du vote de l’Objectif 55, la fin de la vente des véhicules thermiques neufs (essence, diesel et hybride) à partir de 2035. Quel regard portez-vous sur cette mesure ? Est-ce une bonne stratégie environnementale d’encourager les ménages à s’équiper d’un véhicule électrique, alors que ceux-ci sont très polluants à la fabrication, et que la problématique du recyclage des batteries pose toujours question ?

Le débat autour de l’impact environnemental du véhicule électrique par rapport au véhicule thermique est déjà largement discuté dans le débat public depuis plusieurs années. D’une part, le véhicule électrique porte des enjeux industriels forts aujourd’hui, notamment autour de l’organisation et de la massification des filières de recyclage des batteries et de composants complexes. Ces filières existent et se structurent en Europe et dans le reste du monde, mais il n’est pas envisageable d’attendre qu’elles aient atteint une taille critique pour soutenir le développement de la voiture électrique. Car de façon plus significative, le véhicule électrique représente l’opportunité de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, qui représente aujourd’hui le premier gisement d’émissions en France (30% des émissions totales environ). C’est une priorité politique, d’autant plus en France où les émissions liées au transport baissent, mais trop lentement par rapport à nos objectifs climatiques.

Bien sûr, le CO2 que la voiture électrique ne rejette plus dans l’atmosphère ne doivent pas se reporter sur l’amont de la chaîne, c’est-à-dire dans les centrales de production d’électricité qui alimenteront les véhicules. C’est un enjeu majeur pour la cohérence environnementale du passage du véhicule thermique au véhicule électrique. Déployer des voitures électriques si l’électricité qui les alimente provient du charbon ou du gaz n’a pas de sens écologique. En France, cela passera par le maintien et le développement de nos moyens de production d’électricité bas-carbone, comme le nucléaire et les énergies renouvelables. Or, l’année 2022 a mis en évidence des difficultés croissantes de disponibilité de notre parc nucléaire, en témoigne l’arrêt de près de la moitié des réacteurs en exploitation en France, tantôt pour des raisons de maintenances prévues, tantôt pour des raisons d’examens de sûreté et de corrosion.

La principale difficulté, non pas tant pour le système énergétique, que pour les ménages, réside dans le déploiement de bornes de recharge sur le territoire. Sans disponibilité des infrastructures de recharge, les ménages risquent de ne pas oser franchir le pas du véhicule électrique de peur de ne pas pouvoir se recharger selon leurs besoins. C’est notamment le sens de la régulation Afir (Alternative fuel infrastructure regulation), actuellement négociée au niveau européen dans le cadre du paquet Fit for 55. Permettre aux Européens de recharger leur voiture électrique dans leur pays et partout en Europe, de bénéficier de bornes rapides sur les grands axes routiers, sont autant de mesures qui rassureront les ménages et qui aideront à surmonter l’obstacle psychologique qui prédomine aujourd’hui dans l’acquisition d’un véhicule électrique.

Quelle conséquence cette mesure aura-t-elle sur notre consommation d’énergie, et plus généralement sur notre modèle énergétique ? L’utilisation massive de la voiture électrique est-t-elle un facteur qui doit être pris en considération dans la politique énergétique française des années et décennies à venir ?

Selon les estimations de RTE, le gestionnaire français de transport d’électricité, si nous atteignons l’objectif de 15,6 millions de véhicules électriques et hybrides rechargeables sur les routes françaises d’ici 2035, ces voitures représenteront 35 à 40 TWh de demande annuelle supplémentaire, soit moins de 8% de notre production d’électricité totale. Or, ce n’est pas tant le volume d’électricité requise en soi qui peut mettre le système énergétique en difficulté, que notre capacité à gérer la ‘pointe’ de demande, c’est-à-dire le pic de demande électrique, auquel risque de s’ajouter la recharge du véhicule électrique. Ce pic est généralement observé le soir, quand les ménages rentrent chez eux après le travail, et sollicitent leurs appareils électriques et électroniques. Si en plus des usages déjà existants, tous les foyers rechargent leur voiture électrique simultanément, cela mettra notre système électrique sous pression. C’est pourquoi de nombreux pays européens, dont la France, se posent la question du pilotage et de la modulation de la recharge, de façon à inciter ou à contraindre les ménages à se recharger sur des plages horaires moins tendues pour le réseau et le système électrique. Ce sont des régulations qui font aujourd’hui l’objet de nombreuses réflexions, d’autant plus dans le contexte de tension sur l’approvisionnement en électricité nucléaire et en gaz depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine. Nos ressources énergétiques seront, cette année encore plus que les précédentes, limitées et précieuses.

Les prix de l’énergie seront-ils amenés à augmenter à l’avenir, du fait d’une potentielle augmentation de la demande énergétique pour recharger nos véhicules ?

Comme le mettent en évidence les statistiques précédemment citées, l’augmentation de la demande énergétique pour les voitures électriques n’est pas le principal facteur pouvant contribuer à faire augmenter les prix de l’énergie. Des facteurs géopolitiques, comme la guerre en Ukraine, des facteurs industriels, comme la disponibilité du parc nucléaire ou la vitesse du développement des énergies renouvelables, influencent les prix à la hausse ou à la baisse car ils influencent l’offre et donc l’abondance ou la rareté de l’énergie. Mais d’autres facteurs, comme notre capacité à maîtriser notre demande et à adopter une approche fondée sur la sobriété énergétique, permettront également, si ce n’est plus durablement encore, de limiter notre vulnérabilité collective face à l’instabilité des prix de l’énergie. Réduire sa demande, c’est à la fois maîtriser sa facture, en reportant certains gestes sur les heures creuses (la recharge de sa voiture électrique, l’utilisation des appareils électroménagers…), et soulager un système énergétique de plus en plus sous pression.

La Chine, et plus précisément le groupe chinois CATL a investi massivement pour accroitre ses capacités de production de batteries, s’affirmant ainsi comme leader mondial dans cette technologie nécessaire à la production des voitures électriques. À titre d’illustration, les cinq premiers fabricants mondiaux de batteries asiatiques monopolisent plus des trois quarts de l’offre mondiale. Parallèlement, le vote du Parlement européen place la voiture électrique en position dominante pour les prochaines années. L’Union européenne n’est-elle pas en train de renforcer sa dépendance à l’égard de la Chine, alors que la pandémie puis la guerre en Ukraine ont fait émerger l’idée d’une souveraineté économique et technologique européenne ? L’Europe passerait également à côté de la valeur ajoutée, et des emplois de cette filière ?

La mondialisation de l’industrie est une réalité croissante qu’il est difficile, sinon impossible d’inverser. Aujourd’hui, pour quasiment n’importe quel État ou organisation régionale, reposer sur une vision d’indépendance industrielle complète est une forme d’illusion. Nos économies reposent aujourd’hui sur des dépendances mutuelles qui, lorsqu’elles sont trop déséquilibrées, sont synonymes de vulnérabilité économique, mais aussi géopolitique. En témoigne notamment la guerre en Ukraine et la dépendance historique (et contrastée) des États européens vis-à-vis du gaz russe, qui ne se résoudra pas par une production de gaz européenne mais bien par la diversification de nos importations, et par la sécurisation de contrats d’importation avec d’autres partenaires.

La même logique s’applique pour d’autres filières industrielles, et celle des batteries ne fait pas exception. L’initiative européenne de renforcer ses capacités de production de batteries est fondamentale, car elle stimule l’activité des entre- prises européennes, elle relance une activité industrielle d’excellence sur laquelle l’Europe a longtemps capitalisé. Elle mobilise des start-ups, des grands groupes, ‘fleurons’ de l’industrie européenne, des chercheurs, des brevets, et elle mobilise des secteurs, comme celui de l’automobile, dans la transformation inéluctable de la mobilité. Elle peut permettre à l’Union européenne de se positionner certes sur la production de batteries en elle-même, mais également sur des enjeux de long terme, comme l’amélioration technologique et de la performance des batteries, sur la qualité environnementale des produits, sur le développement d’alternatives à certains composants d’origine minière rares et difficilement recyclables… En cela, l’UE cultive sa souveraineté industrielle et économique, non pas en autarcie, ce qui est à la fois inenvisageable et délétère, mais selon une logique « d’autonomie stratégique ». Ce concept, appliqué à l’énergie, peut être défini comme une tactique visant à « stimuler l’Europe dans la compétition mondiale des transitions énergétiques », et à lutter contre les effets néfastes de cette dépendance, davantage que contre la dépendance elle-même1.

1. Voir le chapitre « Géopolitique ou autonomie stratégique : quelle voie pour l’Europe dans la concurrence mondiale des accords verts ? », Dirk Buschle, Dans l’urgence climatique. Penser la transition énergétique (coll.), coll. Folio, éd. Gallimard (2022)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :