Les Lumières de Cassandra Paulet, deuxième partie sur Les juges européens des droits fondamentaux en Europe

Cassandra Paulet est diplômée du Master 2, Carrières juridiques européennes de l’Université Grenoble Alpes. Entre 2017 et 2018, elle est étudiante ambassadrice EU Careers pour l’Office européen de sélection du personnel (EPSO) au sein de la Faculté de droit de l’Université Grenoble Alpes. Depuis 2018, elle réalise une thèse sur les relations entre intégration européenne et protection des droits fondamentaux sous la direction de M. le Professeur Romain Tinière au Centre de Recherches Juridiques de l’Université Grenoble Alpes. 

Elle a notamment publié: 

2021 – Cassandra PAULET, « Le Parquet européen et la protection des don- nées à caractère personnel », in Constance CHEVALLIER-GOVERS, Anne WEYEMBERGH (dir.), La création du Parquet européen. Simple évolution ou révolution au sein de l’espace judiciaire européen ?, coll. Droit de l’Union européenne, Bruylant, 2021, pp. 373-402. 

2021 – Cassandra PAULET, « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la notion de droit fondamental », RDLF, chronique n°14, 2021, 

Les juges européens des droits fondamentaux en Europe 

Quels ont été les arrêts marquants de la Cour de justice de l’Union européenne qui se réfèrent à la Charte ? 

Les droits fondamentaux ont un caractère transversal, c’est-à-dire qu’ils ont vocation à produire des effets et à être protégés en toute matière. De la politique agricole à l’espace Schengen, les droits fondamentaux sont partout, même les entreprises ont des droits fondamentaux. De ce fait, la Cour de justice se réfère très régulièrement à la Charte. La jurisprudence est riche et l’on ne présentera ici que quelques arrêts d’une part pour leur intérêt concernant l’application de la Charte et d’autre part pour leur apport concernant la protection de certains droits fondamentaux. 

→ Quelques arrêts marquants pour l’application de la Charte 

La Cour a été plusieurs fois interrogée au sujet du champ d’application de la Charte qui en principe ne s’applique aux États membres que lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. À l’occasion de l’arrêt Åkerberg Fransson rendu en grande chambre le 26 février 2013 en matière fiscale, la Cour a interprété de manière large cette notion de « mise en œuvre » du droit de l’Union, permettant ainsi de renforcer le champ d’application de la Charte. Le même jour, la Cour rend un autre arrêt dans l’affaire Melloni au sujet du mandat d’arrêt européen. Le problème en l’espèce était que l’Espagne concevait le droit au procès équitable (article 47 de la Charte) de manière plus exigeante que le droit de l’Union et souhaitait ajouter des conditions à la remise de l’individu en cause aux autorités italiennes. Il s’agissait d’une affaire sensible car elle touchait aux standards variables de protection des droits fondamentaux en Europe et questionnait la primauté du droit de l’Union. L’arrêt a ainsi poussé la Cour à revenir sur la notion de « mise en œuvre » du droit de l’Union en lien avec la Charte. Si la Charte en vertu de son article 53, permet aux États membres de faire valoir des standards de protection plus élevé, cela ne doit pas compromettre « le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union ». L’arrêt révèle ainsi la complexe articulation des protections dans l’intégration européenne.

→ Quelques arrêts marquants pour la protection de certains droits 

Parmi les arrêts ayant fait couler beaucoup d’encre figurent ceux relatifs à la protection des données à caractère personnel. Témoin de l’évolution de la société, l’arrêt Schrems rendu en grande chambre le 6 octobre 2015 est particulièrement intéressant à cet égard. Dans cette affaire, la Cour a invalidé la décision d’adéquation de la Commission qui permettait le transfert de données entre l’Union et les États-Unis en vertu d’une directive. En l’espèce, Maximillian Schrems émettait des doutes quant à la protection de ses données collectées via le réseau social Facebook, ces dernières étant transférées depuis l’Irlande vers des serveurs situés aux États-Unis. Ce transfert était permis par la décision d’adéquation dont le but était de s’assurer que le niveau de protection des données aux États-Unis était au moins équivalent à celui de l’Union. La Commission estimait que c’était le cas mais la Cour a jugé que les garanties n’étaient pas suffisantes et que la décision « Safe Harbor » n’était pas conforme aux articles de la Charte protégeant le droit à la privée, le droit à la protection des données personnelles ainsi que le droit au procès équitable. Cette affaire est marquante face aux conséquences économiques, à l’ère numérique, d’un tel positionnement. D’ailleurs dans un arrêt dit Schrems II du 16 juillet 2020, la Cour a confirmé son exigence en matière de protection des données à caractère personnel. En effet, bien qu’elle ait re- connu la validité de certaines clauses contractuelles permettant le transfert des données, la Cour a dans cette deuxième affaire invalidé la décision « Privacy Shield » qui était venue remplacer le « Safe Habor ». Trois mois plus tard, la Cour de justice rend en grande chambre un autre arrêt très attendu dans l’affaire La Quadrature du Net. En lien avec les articles 7 et 8 de la Charte, la Cour précise son opposition au transfert et à la conservation générale et indifférenciée des données collectées cette fois à des fins de lutte contre la criminalité. L’arrêt révèle notamment le délicat équilibre entre impératifs sécuritaires et protection des droits fondamentaux comme le respect de la vie privée. 

Le 6 octobre 2020, le même jour que l’affaire précédente, c’est dans le domaine de l’enseignement supérieur que la Charte est de nouveau mobilisée. Il s’agit de l’arrêt Commission c/ Hongrie où était en cause une loi hongroise modifiant la règlementation nationale sur l’enseignement supérieur. Cette loi mettait en place de nouvelles exigences pour les établissements d’enseignement supé- rieur étrangers offrant une formation diplômante sur le territoire hongrois. Par exemple, devenait obligatoire la conclusion d’une convention internationale entre le gouvernement hongrois et le gouvernement de l’État où se situe le siège de l’établissement. La Cour a condamné en manquement la Hongrie et parmi les fondements figure la violation des articles 13, 14 § 3 et 16 de la Charte qui protègent respectivement la liberté des arts et des sciences, le droit à l’éducation et la liberté d’entreprise. L’inquiétude portait en particulier sur la liberté académique et l’autonomie des établissements concernés. 

Ces quelques arrêts témoignent d’avancées globalement positives soit pour l’application de la Charte soit pour la protective effective de certains droits. Toutefois, d’autres arrêts marquants offrent un bilan plus neutre souvent lié aux limites du rôle de la Cour, par exemple en ce qui concerne les différences de justiciabilité des droits consacrés par la Charte. La Cour doit en effet arbitrer différents intérêts au niveau de l’Union et elle ne peut pas aller au-delà de la volonté des États telle que retranscrite dans les traités. 

La notion de « droit fondamental » revêt-elle le même sens dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ? Les deux textes sont-ils redondants ? 

Les droits fondamentaux protégés dans l’Union et ceux protégés par la Convention européenne des droits de l’homme se recoupent en grande partie. La Charte inclut des droits plus modernes du fait de son adoption récente mais la Convention les protège aussi grâce à une interprétation dynamique et évolutive par la Cour européenne des droits de l’homme. Bien qu’il y ait parfois des divergences de définition des droits fondamentaux dans certains domaines, c’est plus souvent leur fonction et appréhension par le juge qui varient entre les deux ordres juridiques. L’article 52 § 3 de la Charte précise d’ailleurs que « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ». C’est donc plus la mise en œuvre pratique et juridictionnelle des droits qui peut différer entre les deux ordres juridiques. En droit de l’Union, les droits fondamentaux jouent un rôle très important dans le cadre de l’intégration et le juge doit ainsi trouver le juste équilibre entre les différentes actions et politiques menées. Par exemple, les droits fondamentaux sont imbriqués dans certains mécanismes qui sont fondés sur la confiance mutuelle entre les États membres. Le système de la Convention européenne est quant à lui entièrement dédié au développement et à la protection des droits et libertés fondamentales. Le juge qui applique la Convention a ainsi un rôle plus délimité que le juge qui applique la Charte, ce qui peut aboutir à des solutions différentes. Les deux textes permettent une protection des droits fondamentaux dans des contextes distincts ce qui les rend complémentaires. Cette complémentarité s’explique à plusieurs égards. Premièrement et comme souligné précédemment, les deux textes ne sont pas lus de la même manière car les contraintes d’application sont différentes. Au-delà, la Convention et la Cour européenne, fortes de plus de 60 ans d’activités, viennent enrichir l’interprétation de la Charte. Ensuite, la Convention a une portée plus large puisqu’elle s’applique à 47 États contre 27 pour la Charte. À cet égard, si l’ensemble des États membres de l’Union ont adhéré à la Convention, ce n’est pas encore le cas de l’organisation en elle-même. La Cour de justice de l’Union a rendu le 18 décembre 2014 (avis 2/13) un avis négatif quant à l’adhésion de l’Union à la Convention du fait d’enjeux spécifiques en matière d’articulation des deux ordres juridiques. Cette adhésion a notamment été pensée au regard des limites à la complémentarité des deux textes et plus largement des deux ordres juridiques. En attendant la résolution des difficultés entourant cette potentielle adhésion, la Charte lie les institutions bruxelloises et permet à l’Union de légitimer son action. 

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