La clause de la femme européenne la plus favorisée
Une mobilisation-clef pour une Europe inclusive :
La clause de la femme européenne la plus favorisée trouve son origine dans les travaux de l’association « Choisir la cause des femmes » de Gisèle Halimi et de Simone de Beauvoir, créée en 1979 (1). Engagée au niveau européen, Gisèle Halimi a, lors de sa candidature en 1994 au Parlement européen (2) , proposé et soutenu au sein de la réglementation européenne l’introduction de la clause. Cette dernière s’inspire du droit commercial. Effectivement dans les accords internationaux de commerce, il existe une clause dite de la nation la plus favorisée (3). Elle consiste à ce qu’un Etat, lorsqu’il donne des avantages particuliers à un autre Etat, doit également les donner aux autres Etats signataires de l’accord commercial. Envisagée afin de mettre en lumière les difficultés inégales des femmes au sein de l’Union européenne (UE), la clause de l’européenne la plus favorisée envisage de remédier à une double inégalité, entre les hommes et les femmes, puis entre les Européennes elles-mêmes.
En effet, il n’est plus à débattre du fait que les femmes devraient bénéficier de droits plus élevés dans de multiples domaines de leurs vies ; il est évident qu’il existe une injustice genrée au sein de nos sociétés. Or, les droits fondamentaux ne devraient pas varier suivant le sexe de l’individu, et encore moins en fonction du lieu de résidence. Ainsi, pour que la clause de l’Européenne la plus favorisée puisse voir le jour, l’association « Choisir la cause des femmes » a commencé, en 2005 (4), à comparer les différentes législations des États membres afin de regrouper les législations les plus favorables aux femmes au sein d’un bouquet législatif. De plus, l’association a également contacté les associations et les élus locaux afin d’établir si les 14 lois choisies leur semblent pertinentes dans la réalité d’une vie de citoyenne.
EuropaNova et le réseau elles font bouger l’Europe :
Engagée depuis 2003 pour une Europe plus inclusive, EuropaNova (5) a créé le conseil scientifique des femmes qui agissent pour l’Europe de demain. Ce conseil regroupe les domaines suivants : écologie, finances, entreprises, professions académiques ou encore institutions nationales et communautaires. “Elles font bouger l’Europe ” est un programme à la fois « d’études et d’actions, menées par le réseau d’EuropaNova, qui fait le choix de mettre en valeur les profils féminins qui agissent en Europe et pour l’Europe de demain » (EuropaNova, 2021) (6).
Par ailleurs, EuropaNova mobilise ses réseaux de chercheurs et bénévoles pour promouvoir la clause de l’Européenne la plus favorisée, conformément aux directions annoncées à l’occasion de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. A cet effet, une étude sur cette clause, ponctuée d’interviews et d’un événement sont envisagés, sous label PFUE. L’étude s’attache aux 5 grands axes suivants : le choix de donner la vie, le droit de la famille, la lutte contre les violences faites aux femmes, la représentation en politique et le travail. En 2008, un travail de droit comparé avait d’ores et déjà était mené afin d’établir un bouquet législatif regroupant les lois les plus avancées permettant l’émancipation réelle des femmes. Toutefois, il paraît primordial de les actualiser et tout particulièrement depuis la crise pandémique.
Le cheminement politique de la clause :
La clause apparaît régulièrement dans les discours militants (7) mais son effectivité, permise par un travail titanesque de comparaison des différentes législations (8) nous apparait comme méritant plus d’attention. Ainsi, en 2008, est publié un ouvrage regroupant ce travail qui aura duré trois ans (9).
À partir de 2010, le Conseil de l’Europe adhère à la clause de l’Européenne la plus favorisée. Ainsi, lors de la réunion du 27 mai 2010, la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, vote une résolution qui portait les thèmes qui pourront être inclus dans le « bouquet législatif du Conseil de l’Europe » (10). S’inspirant de la méthode développée par Gisèle Halimi, l’objectif de ce rapport est alors d’identifier les sujets qui pourraient être retenus pour proposer un « bouquet législatif du Conseil de l’Europe en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ». Là également les pratiques de l’association Choisir la cause des femmes sont reprises afin d’identifier des lois exemplaires de l’Europe pour proposer des actions qui pourront être entreprises par la suite par les États membres. Le 17 janvier 2012, le Conseil de l’Europe rédige une réponse à la recommandation 1949 (11) relative la promotion des lois les plus avancées en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes en Europe. En son deuxième point, il est mentionné que le Conseil décide d’instaurer « une Commission pour l’égalité entre les femmes et les hommes (GEC). Cette commission fonctionnera sous la supervision du Comité directeur sur les droits de l’homme (CDDH) et mènera les travaux intergouvernementaux dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes qui lui auront été assignés par le Comité des Ministres (12) ».
Les différences entre la clause de l’Européenne la plus favorisée et le pacte Simone Veil :
C’est en 2019 que le pacte Simone Veil fait sa première apparition dans une tribune du Journal du dimanche (13) à l’initiative des ministres Marlène Schiappa et Nathalie Loiseau. En 2020, le groupe Renew au Parlement européen, redessine les contours de la clause de l’Européenne la plus favorisée et le rebaptise le pacte Simone Veil. Ce pacte, à la différence de la clause, s’appuiera sur 4 piliers et non 5.
Sont donc supposés être traités (14) : le droit sexuel et reproductif avec le souhait de garantir la contraception et l’avortement, l’information et l’éducation sexuelle; la vie de famille avec l’interrogation sur les horaires de travail, les congés maternités, les congés paternités, mais aussi le souhait d’assurer les services de petite enfance afin d’assurer l’équilibre de la vie familiale. Les violences faites aux femmes sont également traitées quelques soient leurs formes ou le lieu où elles sont pratiquées. Un numéro d’urgence est envisagé, avec également un appui judiciaire, une structure judiciaire dédiée, et un numéro de soutien aux victimes. L’égalité au travail est un domaine essentiel de ce pacte avec une demande de parité concernant les postes à responsabilité que ce soit au niveau national, européen, dans les entreprises ou encore dans les conseils d’administration. Ce qui aboutit au dernier point qui est la représentation en politique de chaque instant de la vie politique.
Le pacte Simone Veil, contrairement à la clause de l’européenne la plus favorisée dépasse le cadre législatif. Ainsi, la Commission européenne est supposée identifier et encourager les meilleurs pratiques et proposer au niveau européen leurs applications. Ce pacte étant non contraignant, chaque Etat membre pour- rait promettre de l’appliquer dans son ordre juridique national. Le Parlement européen est aussi supposé pousser les législateurs à suivre les mesures d’ores et déjà mis en œuvre dans certains pays. A cet effet, le Conseil européen et le Conseil de l’Union Européenne sont réputés s’engager à en faire une priorité politique. Cependant, tout ceci se limite à la déclaration d’intention.
Pertinence de notre étude :
L’harmonisation par le haut envisagée par la clause de l’Européenne la plus favorisée, imaginée par Gisèle Halimi, représente deux attraits. Tout d’abord, elle constitue une manifestation de progrès évident pour les femmes européennes. Elle constitue également une protection face aux politiques d’austérité et au tournant conservateur constaté dans certains États membres. Ce projet global unit les femmes de toute l’UE mais aussi tous les citoyens européens et accroît, par ce biais, un sentiment d’appartenance qu’il apparaît urgent de promouvoir. Comme l’a dit si justement Gisèle Halimi : « Aujourd’hui, une chose est sûre, l’Europe ne se fera pas sans les femmes, mais de l’avenir des femmes peut naître celui de l’Europe (G. Halimi & A. Cojean, 2021) (15) ». D’ailleurs, cette clause permet également de démontrer que l’Union est un espace démocratique où les droits de chaque citoyen sont observés, étudiés et élevés en cas de nécessité. Ainsi, la clause de l’Européenne la plus favorisée est un outil au combat des droits des femmes mais également une ode à la démocratie européenne favorable au plus grand nombre.
Les limites juridiques des prérogatives de l’Union européenne :
Certains domaines de la clause concernent directement le droit de l’UE, comme l‘égalité salariale, et d’autres sont des compétences nationales comme les questions liées à l’interruption volontaire de grossesse. Cela signifie que l’Union européenne ne peut intervenir que dans les domaines où les 27 Etats membres l’y ont explicitement autorisée, dans le cadre des traités. Ces derniers précisent qui peut légiférer et dans quel domaine.
Dans le cadre où l’Union européenne peut intervenir, elle doit nécessairement respecter trois principes. Tout d’abord, respecter le principe d’attribution, c’est- à-dire qu’elle dispose uniquement des prérogatives qui lui ont été attribuées par les traités européens, une fois ratifiés par tous les Etats membres. C’est en cela que se manifeste le respect de la souveraineté des Etats. Dans son action, l’Union doit également respecter le principe de proportionnalité et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés. Enfin, dans les domaines où à la fois l’UE et les pays membres peuvent agir, la première ne peut intervenir que si son action est plus efficace ; c’est ce qu’on appelle le principe de subsidiarité.
Il est nécessaire de rappeler que l’Union Européenne possède les compétences exclusives dans les domaines suivants : l’union douanière, les règles de concurrence, la politique monétaire, les accords commerciaux, et les plantes et les animaux marins. Dans le domaine du marché unique, l’emploi et les affaires sociales, la cohésion économique, sociale et territoriale, l’agriculture, la pêche, l’environnement, la protection des consommateurs, les transports, les réseaux transeuropéens, l’énergie, la justice et les droits fondamentaux, la migration et les affaires intérieurs, la recherche et l’espace, la coopération au développement et l’aide humanitaire ainsi que la santé publique, l’Union Européenne et Etats membres disposent de ce que l’on appelle des compétences partagées (16). Pour les domaines tels que le secteur de la santé publique, l’industrie, la culture, le tourisme, l’éducation et la formation, la jeunesse et le sport, la protection ci- vile et la coopération administrative, l’Union Européenne ne possède que des compétences d’appui (17). Toutefois, elle a la possibilité parfois, d’aller au-delà de ce qui est prévu par les traités, avec l’usage de compétences particulières, dans le domaine de la coordination des politiques économiques et de l’emploi, la définition et la mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune, ainsi qu’avec la clause de flexibilité. Ainsi, l’Union ne peut pas intervenir dans les domaines réservés aux prérogatives nationales.
Le grand intérêt de la clause de l’Européenne la plus favorisée est qu’elle peut être invoquée dans tous ces domaines ; elle offre aux décideurs nationaux un outil pour s’inspirer des meilleures pratiques européennes et pousse la Commission européenne à aller plus loin au moment de rédiger des législations relevant de ses compétences.
Les moyens juridiques permettant l’adoption de la clause :
Plusieurs possibilités s’offrent à la clause de l’Européenne la plus favorisée afin qu’elle soit effective. Tout d’abord, selon le paragraphe 2 de l’article 17 du Traité sur l’Union Européenne (18) : « la Commission européenne peut effectuer une proposition de loi » au sujet de la clause si elle estime que cette dernière « promeut l’intérêt général de la Communauté européenne » selon le paragraphe 1 de ce même article (19). Le Parlement européen peut également être est une solution législative en usant de sa prérogative de résolution d’initiative qu’on retrouve à l’article 225 du Traité sur l’Union européenne. Ce dernier dispose que: « le Parlement européen peut, à la majorité des membres qui le composent, demander à la Commission de soumettre toute proposition appropriée sur les questions qui lui paraissent nécessiter l’élaboration communautaire pour la mise en œuvre du présent traité (20) ». De plus, la Commission des Droits de la femme et de l’Égalité des genres pourrait, selon l’article 54 du règlement intérieur de l’Assemblée, « envisager d’établir un rapport non législatif ou un rapport au titre de l’article 46 ou 47 sur un objet relevant de sa compétence sans en avoir été saisi (21) ». En ce sens, cette proposition pourrait aboutir à la demande d’une proposition de la Commission européenne. Enfin, l’initiative citoyenne pourrait également constituer un moyen de voir la clause se concrétiser, puisque l’alinéa 4 de l’article 11 du traité sur l’Union européenne dispose que : « des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités (22) ». Les citoyens européens et les citoyennes européennes souhaitant défendre ce bouquet législatif, pourraient donc regrouper les signatures nécessaires afin de solliciter la Commission européenne.