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Semaine de l’Europe 1ère édition
Dans le cadre de ses 20 ans, EuropaNova vous convie à la « Semaine de l ‘Europe », un évènement européen hors du commun, public, ouvert à tous, du lundi 27 mars au vendredi 31 mars 2023 au 79 avenue de la République à Paris, tous les jours, de 18h à 19h30. C’est une série inédite de conférences qui interrogent « La Fierté Européenne », inspiré du livre de notre Président fondateur, Guillaume Klossa, en partenariat avec l’association étudiante de l’ESCP, « Tribunes ».
Les 5 débats, avec un moment dédié aux questions/ réponses, seront diffusés en direct dans 5 campus étudiants européens : Londres, Berlin, Madrid, Varsovie et Turin.
Notre premier débat public et en anglais porte sur la civilisation européenne avec des invités inspirants : la Ministre de la Culture Rima Abdul Malak, l’ex. Ministre des affaires européenne de l’Espagne, Arancha Gonzalez, le directeur du programme de la future capitale de la culture européenne en Slovénie et ex Ministre de la Culture, Stojan Pelko, la directrice italienne du Women’s Forum, Chiara Corazza , la philosophe Céline Spector et l’auteur de « Fierté européenne » , Guillaume Klossa, le lundi 27 mars prochain à 18h, au 79 avenue de la République à Paris.
Le deuxième débat public, en anglais, porte sur la démocratie européenne . La démocratie européenne est challengée dans le monde par des régimes autoritaires et antidémocratiques. Il nous a semblé nécessaire de ré interroger notre modèle de démocratie européenne pour faire vivre cette démocratie devenue presque minoritaire dans le monde et dans un contexte de guerre. Nous réunirons des intervenants de marque qui pourront notamment débattre sur le « pouvoir » et le « contre pouvoir » comme la directrice du Monde diplomatique et professeur, Anne-Cecile Robert , Claire Boussagol, l ‘ex CEO de Politico Europe, l’auteur de professeur italien Alberto Alemanno, Thomas Gomart, directeur de l ‘ IFRI ou encore Pierre Buhler, diplomate, le mardi 28 mars prochain à 18h, au 79 avenue de la République à Paris. Entrée libre, merci de vous inscrire car les places sont limitées.
Le troisième débat public porte sur l’écologie qui reste la principale préoccupation des jeunes européens . Clément Beaune, le Ministre des transports abordera les enjeux de la décarbonation des transports. D’autres intervenants marquants interrogerons les solutions d’avenir et les leviers d’actions environnementaux : Brune Poirson, Directrice du développemet durable du groupe Accor,Karima Delli, député européenne, Raphaël Boroumand, économiste et Mélanie Vogel, sénatrice des français de l ‘étranger , le mercredi 29 mars à 18h au 79 avenue de la République à Paris .
La quatrième conférence porte sur l’économie du Numérique en Europe. Il réunit une pluralité d’intervenants qui agissent tous au quotidien et en Europe sur ce champs qui suscite tant d’espérances : Pierre Louette, PDG du groupe les Echos/ Le Parisien , Sophie Javary, dirigeante à la BNP paribas, Cédric Ô, ex Minisitre du Numérique, Carme Colomina-Salo, Chercheuse italienne, Julien Nocetti, chercheur à l’IFRI et Stephane Distinguin, entrepreneur. Le débat se tient le jeudi 30 mars à 18h à Paris au 79 avenue de la République.
La cinquième conférence de clôture de cette semaine européenne interrogera le futur européen, en cette fin de mandature de l’actuelle commission européenne et tentera de dresser les visions et les priorités prochaines dans une perspective 2050. L’Europe a souvent évolué à travers une série de crises mais le temps n’est-il pas venu de réfléchir sereinement au projet européen et d’interroger la pluralité des opinions des citoyens et des dirigeants ? Ces échanges sur l’horizon européen feront intervenir Valerie Hayer, Présidente de « L’Europe Ensemble » au parlement européen, Jean- Pierre Raffarin, l’ex premier Ministre et ex député européen, Michel Barnier, ex Négociateur de l’ UE du Brexit et Guillaume Klossa, auteur de « Fierté européenne » et Président fondateur du think Tank Europanova et Denis Simonneau, Président d’EuropaNova, le vendredi 31 mars au 79 avenue de la République à Paris à 18h.
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Club EuropaNova n°1
📣 LANCEMENT DU CLUB EUROPANOVA avec Philippe Leglise Costa
EuropaNova lance une série de réflexions sur l’avenir européen. Notre premier invité est Philippe Leglise Costa, le représentant de la France dans l’Union européenne. Cette première, en collaboration avec Europartenaires, a réunit une centaine de participants.
Un grand merci aux ambassades, aux décideurs politiques, aux entrepreneurs, aux étudiants et aux citoyens engagés de nous avoir rejoint.
Un grand merci également à nos intervenants : Philippe Leglise Costa, Elisabeth Guigou, Jean-Philippe Jeanneney, Guillaume Klossa et Denis SIMONNEAU.🔎 L’ambassadeur a rappelé que l’Europe a pris les devants concernant la guerre en Ukraine quand l’OTAN a fait simplement son métier. Il a conclu que l’Europe avait fait de grandes avancées notamment sur l’achat groupé européen, aussi bien sur les vaccins que sur les armes.
Il reste néanmoins beaucoup à faire dans le domaine de la citoyenneté européenne.Un discours qui a fortement raisonné dans les murs d’EuropaNova, association d’intérêt général dont l’ADN est l’engagement citoyen.
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Newsletter du 14 avril 2023
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Comité de rédaction : Guillaume Klossa, Isabelle Négrier, Claire Boussagol et Laura De Almeida
Bonne lecture européenne !
Démocratie et État de droit
GÉORGIE : DES MANIFESTATIONS QUI SE MULTIPLIENT CONTRE LE GOUVERNEMENT PRO-RUSSE
Ce dimanche 9 avril, les citoyens de Géorgie se sont donnés rendez-vous dans la capitale, à Tbilissi, pour manifester contre leur gouvernement qu’ils accusent d’être « contrôlé » par Moscou. Ce rassemblement a été lancé par le groupe d’opposition Mouvement national uni, fondé par l’ancien président Mikheïl Saakachvili, aujourd’hui emprisonné pour abus de pouvoir.
Les manifestants réclament deux choses : d’une part, la libération des prisonniers politiques ; et d’autre part la mise en œuvre des réformes que la Géorgie doit mener afin d’obtenir le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne. C’est une tâche d’autant plus difficile car, comme l’affirment plusieurs anciens présidents, le parti au pouvoir (Rêve géorgien) « est contrôlé depuis Moscou et notre obligation est de sauver notre patrie des larbins russes », expression de Guiorgui Margvelachvili. De nombreux drapeaux européens ont été brandis à côté du drapeau géorgien, ainsi qu’une banderole où il était inscrit : « Pour un avenir européen ».
Toutefois, ces manifestations, qui se multiplient ces dernières semaines en Géorgie, ne sont pas sans conséquences bénéfiques. En effet, le mois dernier, le gouvernement géorgien n’a pas mis en place un projet de loi similaire à celui de Moscou. Il consistait à classer les ONG et médias, qui reçoivent plus de 20% de leur financement de l’étranger, en « agents étrangers ».
ZELENSKY EN POLOGNE : RENFORCEMENT DE « L’AMITIÉ ÉTERNELLE »
Pour la première fois à l’occasion d’une visite d’État, le président ukrainien avait annoncé en amont sa venue à Varsovie, contrairement à ses précédentes visites tenues secrètes jusqu’au jour-j ; un moyen de montrer que désormais Volodymyr Zelensky n’a plus peur de représailles russes en dehors de son territoire. Il a souhaité d’emblée évoquer l’aide des citoyens polonais pour l’accueil des ukrainiens dès les premières heures du conflit. Aujourd’hui, la Pologne compte plus de 2,5 millions de réfugiés ukrainiens.
Toutefois, l’aide la plus grande que la Pologne apporte à son voisin reste de l’ordre militaire. En effet, comme l’indique le président Zelensky : « La Pologne a fait tout ce qu’elle avait promis en ce qui concerne les chars : ils sont déjà en Ukraine, en particulier les chars Leopard. De nouveaux accords ont été conclus sur les véhicules de combat d’infanterie – plus de 100 véhicules. En ce qui concerne les véhicules blindés de transport de troupes – Rosomak – 200 véhicules, 100 maintenant et 100 plus tard ». Au début du mois, Morawiecki, premier ministre polonais avait annoncé l’achat des véhicules blindés, qui ont été « payés par l’argent européen » et « par l’argent américain qui a été donné à l’Ukraine« .
Ce 6 avril, lors de sa rencontre avec le président Polonais, Volodymyr Zelensky a par ailleurs passé une nouvelle commande de véhicules blindés. Ce renforcement du matériel côté ukrainien arrive alors que des révélations sur le cimetière Wagner se propagent, cumulant aujourd’hui des milliers de morts.
Europe Géopolitique et Économique
CHINE, ÉTATS-UNIS ET L’AMBITION D’UNE AUTONOMIE STRATÉGIQUE EUROPÉENNE
La semaine dernière, le président Emmanuel Macron s’est rendu à Pékin à la rencontre du Président Xi Jinping, accompagné de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, exprimant ainsi sa volonté de lier sa visite à l’Union européenne. Toutefois, le responsable chinois s’est employé à diviser le duo, réservant à Emmanuel Macron tous les aspects d’une visite d’État bilatérale. La présidente de la Commission est restée la plupart du temps en marge, le gouvernement chinois n’ayant pas oublié l’hostilité présumée de son discours du 30 mars. Des discussions tripartites ont tout de même eu lieu pour relancer le lien avec Pékin, qui avait réaffirmé son lien avec Moscou un mois plus tôt.
Depuis la Chine, le président français a accordé un entretien aux journalistes, évoquant la position que l’Union européenne doit tenir face à la « logique des deux blocs ». Cet entretien a été largement commenté, dans le monde entier, dans un contexte de montée des tensions autour de Taïwan, après la simulation d’une invasion de l’île par les militaires chinois, ainsi que la guerre en Ukraine. Emmanuel Macron avait notamment évoqué l’autonomie stratégique européenne qui est nécessaire afin de se détacher de la politique des États-Unis : « S’il y a une accélération de l’embrasement du duopole, nous n’aurons pas le temps ni les moyens de financer notre autonomie stratégique et deviendrons des vassaux alors que nous pouvons être le troisième pôle si nous avons quelques années pour le bâtir ».
Plus que jamais, l’Union européenne a l’occasion de prendre sa place sur la scène internationale, pour le président français : « La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise ».
MER MEDITERRANÉE : UNE IMMIGRATION EN RECRUDESCENCE
Ce dimanche 9 avril, une embarcation partie de Tunisie a fait naufrage à mi-chemin des côtes italiennes. Dans l’embarcation se trouvait une quarantaine de personnes, dont des enfants : deux migrants sont morts et plus d’une vingtaine toujours disparue. L’un des responsables de l’ONG allemande qui est venue les secourir, Stefen Seyfert, a indiqué : « Nous avons fait tout notre possible pour sauver plus de gens mais nous n’avons pas réussi ». Vis-à-vis de l’Italie, dont les réactions ont été critiquées ces dernières semaines, il salue une « bonne coopération » avec les garde-côtes italiens.
Sur les trois jours du week-end Pascal, les garde-côtes italiens n’ont pas eu de répit : en effet, deux autres bateaux étaient à la dérive, représentant plus de 1 200 migrants. Le premier bateau se trouvait en eaux italiennes au large de la Sicile avec 800 migrants. L’embarcation était surchargée, ce qui a rendu le sauvetage complexe et a nécessité trois bateaux de patrouille et un navire marchand. Le second bateau secouru transportait 400 personnes à son bord. Au total sur le week-end, les garde-côtes italiens ont secouru plus de 2 000 personnes.
Depuis le début de l’année, les naufrages en mer se sont multipliés. L’Italie est un pays d’accueil de première ligne, puisque l’île de Lampedusa est la mieux située pour les migrants provenant d’Afrique du Nord. En l’espace de quatre mois, plus de 14 000 migrants sont arrivés en Italie, contre 5 300 sur la même période en 2022. Un chiffre qui a triplé, remettant sur le devant de la scène européenne cette crise migratoire que la pandémie de COVID 19 avait ralentie.
Green Deal
BREXIT : QUELS RISQUES POUR LE PACTE VERT ?
Le Pacte vert pour l’Europe, le fameux Green Deal, est potentiellement en danger. En effet, Bruxelles et Londres n’ont toujours pas trouvé de solution sur le financement du programme spatial européen. Or, c’est son programme Copernicus, sur la base d’observation satellitaire, qui surveille les changements environnementaux de la Terre. Pour la période de 2021 à 2027, le Royaume-Uni devait contribuer à hauteur de 721 millions d’euros pour le programme spatial.
Cependant, des désaccords plus urgents ont repoussé indéfiniment les négociations, comme l’accord de Windsor sur le statut de l’Irlande, à la suite de laquelle un porte-parole du gouvernement britannique a indiqué : « le Royaume-Uni et l’UE ont clairement indiqué qu’ils étaient ouverts à la poursuite des discussions sur l’association du Royaume-Uni aux programmes de l’UE. Toutefois, les discussions sur la marche à suivre devront refléter [notre absence pendant] plus de deux ans à la participation aux programmes ». Pendant ce temps, le bon développement du programme est en danger face à ce manque colossal d’investissement.
L’Agence Spatiale Européenne s’inquiète des impacts sur les missions futures, mais également sur celles déjà en cours, ce retard financier réduit : « considérablement la capacité, en particulier, de répondre aux besoins d’urgence liés à la gestion des catastrophe », ainsi que de mettre en place des satellites capables de mesurer les émissions de CO2. Tout cela : « compromet considérablement la continuité renforcée du programme [Copernicus] et sa capacité à soutenir pleinement et en temps opportun le Pacte vert pour l’Europe ».
PÊCHE DE FOND : PAS D’INTERDICTION MAIS DES ORIENTATIONS
Fin février, la Commission européenne avait annoncé qu’elle voulait interdire la pêche de fond dans les zones protégées. La mesure faisait partie d’un plan d’action environnemental afin de protéger différentes espèces de poissons et crustacés mais surtout les tortues et oiseaux marins qui étaient en danger. En effet, les aires protégées, qui vont représenter jusqu’à 30% des eaux européennes en 2030, sont menacées par les différents engins de pêche : chaluts, dragues…
Des oppositions se sont rapidement manifestées dans de nombreux États membres, notamment en France, en Espagne et en Irlande. Pour l’Alliance européenne pour la pêche de fonds, cette interdiction aurait touché « 7 000 navires, 25% des volumes de pêche débarqués et 38% des revenus totaux de la flotte européenne ». En France, c’est un tiers de la flotte qui était en danger, de nombreuses manifestations se sont mises en place avec des missions « filière morte », laissant les bateaux à quai.
Finalement, le plan d’action pour une pêche durable présente désormais : « seulement des orientations aux États membres, la France ne sera donc pas contrainte de prendre des mesures d’interdiction ». Les efforts français ont été soulignés, les stocks de poissons exploités durablement sont passés de 11% il y a 20 ans, contre plus de la moitié aujourd’hui. Toutefois, pour les ONG écologistes ce n’est pas suffisant, pendant les sept prochaines années les États membres pourront encore bénéficier du chalutage de fond dans un contexte d’urgence pour la protection des écosystèmes.
Numérique
CYBERSÉCURITÉ : MOT D’ORDRE POUR LE FUTUR DE L’EUROPE NUMÉRIQUE
Dernière initiative de la Commission européenne, le programme de travail pour 2023-2024 décrit les domaines-clés à améliorer pour l’Europe numérique. Ce programme a un double défi : la transition verte et numérique. À cela s’ajoute le besoin de pouvoir identifier les cybermenaces et d’y réagir. Une loi vient compléter ce programme et sera présentée le mois prochain : la loi sur la cybersolidarité. Ce mécanisme d’urgence de cybersécurité disposera d’un fond de 35 millions d’euros.
En plus de ce budget, un second vient compléter ce programme, d’une hauteur de 84 millions d’euros, afin de renforcer les centres opérationnels de sécurité. La Commission souhaite développer de nouveaux centres dans des régions stratégiques comme la Méditerranée orientale ou la Baltique. Cela permettrait à l’Union d’échanger ses renseignements avec ses voisins sur les cybermenaces. L’organisation de ces centres de sécurité, symbolisés comme un « bouclier cybernétique », sera accouplée à une seconde infrastructure à la détection des menaces au niveau européen.
Le programme pour une Europe numérique prévoit de nombreux autres objectifs, comme l’indique Euractiv : « le développement des capacités de détection et d’analyse des cybermenaces, le renforcement de la coordination entre les cybercommunautés afin d’améliorer les réponses et le soutien aux PME et aux startups en matière de conformité réglementaire ».
CHATGPT ET PROTECTION DES DONNÉES : QUE DIT L’UNION ?
Depuis plusieurs semaines, l’intelligence artificielle est au cœur de nombreux débats. En Europe, le sujet entraîne une division entre les amateurs et les méfiants, notamment après l’interdiction de ChatGPT en Italie. En effet, celle-ci a ouvert une enquête sur le logiciel et les possibles violations du règlement général sur la protection des données. À cela s’ajoute l’avis d’Europol, police européenne, pour qui cette intelligence artificielle peut être utilisée par des criminels pour des fraudes et cybercrimes.
En Allemagne, une enquête similaire est déjà en cours. Du côté français, ce mercredi 12 avril une plainte a été déposée auprès de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Toutefois, ces enquêtes n’imposeraient pas, pour l’instant, une interdiction totale de ChatGPT mais plutôt une réglementation. La Commission travaille d’ores et déjà sur une législation pour l’intelligence artificielle, un vote doit avoir lieu fin avril au Parlement européen.
Pour Frederico Oliveira, juriste au Bureau européen des unions de consommateurs : « Nous sommes à des années de l’application de la loi sur l’IA, et il est crucial que les consommateurs soient protégés entre temps ». De plus, les logiciels comme ChatGPT auraient un impact non négligeable dans le secteur du travail administratif et juridique, menaçant près de 300 millions d’emplois dans le monde. Toutefois, dans un autre domaine tel que l’éducation et la recherche, ChatGPT représente une grande avancée, des arguments comme une augmentation de la productivité et la facilitation du travail sont avancés, si l’utilisation est surveillée par les enseignants afin d’éviter toute triche.
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Géopolitiser la politique européenne de développement ? Évaluation du nouveau cadre budgétaire de l’action extérieure de l’UE
Lorsque l’ancienne ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, est devenue présidente de la Commission européenne en décembre 2019, elle s’est engagée à transformer l’UE en un acteur géopolitique plus pertinent. Alors que l’identité de l’Europe était depuis longtemps ancrée dans l’idée que l’Union exerçait un pouvoir normatif, c’est-à-dire qu’elle influençait l’ordre mondial en diffusant ses normes, ses idées et ses valeurs, Ursula von der Leyen a clairement indiqué au début de son mandat que, même si ces outils de soft power comptaient toujours, « l’Europe doit également apprendre le langage du pouvoir [dur] ».
La nouvelle présidente de la Commission européenne a pu s’appuyer sur les tentatives de ses prédécesseurs pour faire avancer cette transformation progressive de la politique de l’UE, qui passe d’une compréhension purement kantienne à une compréhension plus hobbesienne de la politique internationale.
En 2012 déjà, José Manuel Barroso, alors président de la Commission, soutenait dans son discours sur l’état de l’Union que « partager la souveraineté en Europe signifie être plus souverain dans un monde global ». Peu de temps avant le discours de Barroso, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009 avait jeté les bases institutionnelles d’une politique étrangère européenne naissante plus affirmée et plus visible. Dès le départ, cette nouvelle ambition a également posé des questions existentielles pour la politique de développement de l’UE, que les responsables de la politique étrangère de l’UE ont tenu à aborder pour la première fois dans la stratégie globale de 2016 pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne. Cette stratégie affirmait que la coopération au développement de l’UE « doit devenir plus flexible et s’aligner sur nos priorités stratégiques [celles de l’UE] ». Ce n’était pas une mince affaire, compte tenu de la fragmentation considérable du domaine politique : pour des raisons de dépendances historiques et de politique bureaucratique, l’UE menait en fait une multitude de politiques de développement avec des concepts géographiques européens comprenant le « voisinage » et l’ « Afrique subsaharienne ». Plus fondamentalement, cependant, la stratégie et la prédilection nouvelle pour une approche plus, selon les termes de Robert Kagan, « martienne de la politique étrangère » risquaient de saper l’essence même de la coopération au développement de l’UE, à savoir l’éradication de la pauvreté. En d’autres termes, la tension persistante inscrite à l’article 208 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui découle d’un délicat exercice d’équilibre entre les intérêts et les objectifs normatifs, était désormais mise en évidence.
Ce processus coïncide avec des bouleversements presque sans précédent dans l’ordre mondial de l’après-guerre. Pour les nouvelles ambitions stratégiques de l’UE et leur réalisation, cela revient à apprendre à nager en eaux libres.
Un nouvel instrument pour une nouvelle politique étrangère
En 2020, les négociations en cours sur le budget de l’UE et les propositions législatives connexes visant à régir et à orienter les dépenses du cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE, pour la période 2021-27, ont offert à l’UE l’occasion de passer des paroles aux actes. Pour surmonter la fragmentation institutionnelle et financière des instruments de la politique de développement de l’UE et renforcer ainsi la visibilité et la position de l’Europe dans le monde, la Commission a proposé de fusionner les nombreux cadres (« instruments de financement externe » dans le langage de l’UE) en un cadre unique pour le financement des politiques de voisinage, de développement et étrangère de l’UE. Ces instruments comprenaient un fonds intergouvernemental pour la coopération avec les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (le Fonds européen de développement), des cadres géographiques et thématiques distincts couvrant différents sujets et régions, mais aussi diverses formes de financement : coopération fondée sur des subventions, prêts concessionnels, financements mixtes et garanties, ces deux dernières formes visant à promouvoir les investissements extérieurs publics et privés.
Au terme de lourdes négociations menées en pleine pandémie mondiale, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE sont parvenus à un accord politique sur la nature et la taille du prochain CFP en juillet 2020. Avec l’aboutissement des négociations budgétaires, l’UE a également promulgué son nouvel instrument d’action extérieure. En juin 2021, trois ans après sa proposition initiale, le nouveau cadre a été adopté et a reçu le nom encombrant d’ « instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale – Europe globale » (NDICI-Global Europe), dotant l’UE d’une « boîte à outils » rafraîchie et réformée pour son action extérieure. Son double nom et les différentes façons d’y faire référence dans les communiqués de presse du Conseil, de la Commission et du Parlement européen semblent refléter les diverses perspectives et préférences des parties aux négociations concernant le nouveau cadre et son budget considérable de 79,5 milliards d’euros pour la période 2021-27.
Objectifs et forme du NDICI-Global Europe
Au-delà de l’objectif général d’accroître la visibilité de l’UE à l’étranger, d’améliorer la coordination intra-européenne et de renforcer l’efficacité des allocations européennes en matière de développement, le nouvel instrument poursuit plusieurs autres objectifs plus spécifiques. Le texte juridique de l’instrument précise que 93 % de son budget doit répondre aux critères de l’aide publique au développement (APD) tels qu’établis par le Comité d’aide au développement de l’OCDE. L’OCDE définit l’APD comme un financement qui favorise le développement économique et le bien-être des pays en développement et qui a un caractère concessionnel.
Les fonds de NDICI-Global Europe sont alloués par le biais de programmes géographiques (couvrant le voisinage, l’Afrique subsaharienne, l’Asie et le Pacifique, les Amériques et les Caraïbes), de programmes thématiques (englobant les droits de l’homme et la démocratie, les organisations de la société civile, la stabilité de la paix et la prévention des conflits, les défis mondiaux) et d’un mécanisme de réponse rapide (conçu pour traiter la prévention des crises et des conflits).
L’intégration d’instruments et de fonds jusqu’alors distincts sous un même toit juridique, en particulier le Fonds européen de développement intergouvernemental, a nécessité des changements institutionnels dans les relations entre les États membres et le Parlement européen. Au cours des négociations de l’instrument, il a été convenu que le Parlement européen, avec ses commissions du développement et des affaires étrangères, aurait un dialogue géopolitique semestriel avec les commissaires européens concernés afin d’examiner et d’informer les décisions et les choix de coopération. L’introduction de ce nouveau format de dialogue offre la possibilité d’accroître le contrôle démocratique du Parlement sur l’action extérieure de l’UE. Toutefois, comme les réunions de ce format se déroulent à huis clos, il est impossible de s’en assurer.
Le cadre a dû faire face à divers compromis qui étaient déjà présents dans la proposition de juin 2018 ; ou, dans un langage non-économiste, il a été confronté au défi de la quadrature du cercle dès le stade de la conception. L’un de ces défis concerne l’ambition de devenir plus flexible et réactif, tout en incorporant divers objectifs de contribution préétablis et des « sous-budgets » affectés pour s’assurer que des niveaux de financement garantis sont disponibles pour des régions et des sujets sélectionnés. Un autre point concerne l’inclusion d’un « coussin pour les défis et priorités émergents », le préambule du texte précisant que la Commission doit informer le Parlement européen avant de mobiliser ces fonds, tout en tenant compte de ses observations.
Conformément à la structure en piliers de l’instrument, des stratégies géographiques (pays et régions) et thématiques, qui doivent identifier les priorités de dépenses, ont été élaborées en décembre 2021. Elles indiquent les priorités de financement pour la période 2021-24, soit à mi-parcours du cycle budgétaire où de nouveaux changements peuvent être introduits. Bien que les stratégies concernent l’utilisation des ressources budgétaires propres de l’UE, leur préparation s’est accompagnée de discussions approfondies avec les représentants des États membres de l’UE, de la Banque européenne d’investissement et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement sur la manière dont leurs plans et priorités respectifs pourraient être regroupés en tant qu’ « initiatives de l’équipe Europe » afin de renforcer leur visibilité et leur efficacité collectives.
L’encre des documents politiques n’était pas encore sèche lorsque la présidente de la Commission, Mme Von der Leyen, a présenté Global Gateway, une initiative de l’UE visant à accroître les investissements en infrastructures au sens large dans le monde. Global Gateway constitue une réponse pas si implicite que cela à l’initiative chinoise « Belt and Road », en mettant l’accent sur les pays en développement et l’Afrique en particulier. Grâce à une approche « Team Europe », un montant impressionnant de 300 milliards d’euros sera mobilisé, en grande partie en faisant appel à des capitaux privés.
Les projets de la Commission visant à concrétiser la passerelle mondiale en s’appuyant sur les initiatives de l’Équipe Europe peuvent être interprétés de différentes manières. D’une part, la subordination de NDICI-Global Europe et de Team Europe à une nouvelle grande stratégie peut signifier la reconnaissance du fait que ni le budget de l’UE pour l’action extérieure ni les efforts de coordination dans le cadre de Team Europe ne sont suffisants pour améliorer la visibilité et la position de l’UE dans le monde.
En outre, les divisions stratégiques et d’intérêts entre les États membres restent importantes et n’ont été surmontées ni par la mise en place du nouvel instrument financier ni par la promotion de l’approche Team Europe. En effet, l’approche de l’Équipe Europe, qui visait à tirer parti de la visibilité de l’UE dans le monde à partir de sa réponse globale à la pandémie, a commencé à donner l’impression à certains États membres qu’ils perdaient leur propre visibilité (bilatérale) et reconnaissance auprès des pays partenaires.
Malgré la motivation initiale de rationalisation et de défragmentation de la structure institutionnelle de l’UE, la transition de l’UE d’un agenda de coopération internationale axé sur la demande à un agenda de coopération internationale axé sur les intérêts a elle-même été une source d’initiatives nouvelles et émergentes qui, dans une certaine mesure, compromet les gains que la fusion des instruments existants avait permis. J.-B. L’épigramme d’Alphonse Karr de 1849, plus ça change…, résume assez bien cette situation.
Un monde en ébullition qui met le nouvel instrument à l’épreuve
Un budget de 79,5 milliards d’euros pour sept ans dépasse les engagements individuels annuels d’aide étrangère de tous les États membres, à la seule exception de l’Allemagne (32,2 milliards, données préliminaires de l’OCDE). Pourtant, les nombreux objectifs qui doivent être poursuivis dans ce cadre budgétaire ne sont compensés que dans une certaine mesure par ses réserves flexibles et autres dispositions permettant de répondre à des circonstances imprévues. L’un des plus grands plans stratégiques de coopération bilatérale qui a été adopté en décembre 2021 a été préparé pour la coopération avec l’Ukraine et définit les priorités de coopération pour la période 2021-24 avec un budget total de 640 millions d’euros. L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, une semaine après le sommet de l’UE avec l’Union africaine, a invalidé cette stratégie qui avait été préparée sur plusieurs mois. L’UE a toutefois réagi rapidement et a mobilisé près de 4,1 milliards d’euros sous la forme d’une assistance macro-financière, d’un soutien budgétaire, d’une aide d’urgence, d’une réponse aux crises et d’une aide humanitaire pour soutenir l’Ukraine. Dans le cadre de la Facilité européenne de paix, l’UE a également fourni une assistance militaire au pays envahi, pour un montant de 1,5 milliard d’euros.
L’invasion de l’Ukraine a toutefois également montré que l’équilibre délicat entre les objectifs de la politique de développement, de la politique étrangère et de la politique de voisinage, trouvé en juin 2021 par les différentes institutions de l’UE sous la forme du règlement NDICI-Europe globale, doit maintenant faire face à une réalité géopolitique encore plus dure que ce que les co-législateurs avaient pu prévoir. Les plans initiaux de la Commission prévoyaient implicitement que l’UE pourrait devenir un acteur plus géopolitique, mais à sa propre initiative et selon sa propre stratégie. Deux ans après le début de la pandémie, l’UE se trouve malheureusement à nouveau mise au défi de prendre le contrôle d’un monde en pleine ébullition. En particulier, la guerre en Ukraine elle-même a des conséquences sur le commerce mondial, l’énergie et la sécurité alimentaire qui menacent le rôle de l’UE en tant que plus grand bloc économique du monde et peuvent nécessiter un recentrage de ses priorités de coopération et de ses alliances stratégiques. Il existe également des risques associés à un soutien financier direct à l’Ukraine, allant du militaire à l’humanitaire, et qui pourrait donc déplacer des fonds initialement destinés à d’autres régions – d’autant plus que la volonté et la capacité fiscale des États membres à fournir des fonds supplémentaires au budget de l’UE ne peuvent être présumées dans le contexte économique difficile actuel.
Le même défi programmatique se pose à l’initiative Global Gateway de l’UE, qui cherchait implicitement à positionner l’UE pour concurrencer d’autres acteurs internationaux, notamment la Chine, dans le domaine de l’investissement en infrastructures, tout en se fondant sur une économie mondiale stable. La question qui se pose ici est de savoir quel rôle le Global Gateway peut jouer en termes d’accélération des investissements dans une situation où cette stabilité n’est plus acquise, où le protectionnisme et les intérêts nationaux sont de plus en plus en hausse, et où les liens doivent être rétablis plutôt qu’approfondis, et souvent avec des pays qui ne partagent pas les mêmes idées. En outre, l’utilisation de l’APD pour attirer ces investissements entraîne des coûts d’opportunité en termes d’utilisation alternative des ressources de l’UE pour répondre aux revers considérables en matière de développement humain auxquels sont confrontés ces mêmes pays. Il en résulte une situation dans laquelle les allocations sont de plus en plus déterminées par des objectifs stratégiques, alors que leur mise en œuvre effective est loin d’être assurée.
À mi-parcours de la période de mise en œuvre de l’agenda 2030 et de ses objectifs de développement durable, cela montre que, bien que les institutions de l’UE aient pu convenir d’un cadre budgétaire unique pour son action extérieure, il leur manque une vision politique commune et claire des résultats de coopération qu’elle devrait obtenir. Si les objectifs de contribution convenus dans le cadre de NDICI-Global Europe fournissent une « approximation » de la part des ressources qui devrait être affectée à des objectifs thématiques et à des régions géographiques spécifiques, ainsi qu’à des objectifs transversaux tels que le climat et la migration, l’absence de cette vision globale complique la réponse de l’UE aux événements imprévus dans un contexte instable. Cela montre que pour qu’une Union géopolitique contribue efficacement au développement mondial, elle a besoin à la fois de souplesse et d’orientation.
En tant que partenaire de premier plan dans la coopération au développement, l’UE doit avoir, d’une part, la capacité de lire et de traiter les différents besoins et intérêts des partenaires dans le contexte d’un monde de plus en plus fragmenté et géopolitiquement compétitif, et d’autre part, trouver un équilibre entre ses propres intérêts et ses valeurs non négociables. Alors que les campagnes pour le prochain Parlement européen pourraient s’accélérer environ un an après la publication de cet article, il est essentiel d’engager ce dialogue sur la vision politique de l’UE pour son action extérieure.
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Kosovo : mettre fin à l’isolement – Un long chemin vers l’Europe
Recommandations politiques
- Les États membres de l’UE devraient être cohérents dans leur attitude à l’égard de la libéralisation des visas pour le Kosovo.
- Le Kosovo devrait s’engager au niveau bilatéral avec les États membres de l’UE sceptiques et s’efforcer de convaincre ceux qui hésitent à apporter leur soutien au pays dans cette affaire.
- Le processus de libéralisation des visas du Kosovo, toujours en attente au Conseil de l’Union européenne, devrait être traité comme une question d’urgence.
Si nous examinons le parcours du Kosovo vers l’intégration dans l’Union européenne (UE), à une époque où d’autres pays des Balkans occidentaux sont en train de discuter des différentes étapes de l’intégration, le Kosovo est toujours soumis à un régime sans visa dix ans après le début du parcours. Depuis 2012, la Commission européenne a publié cinq rapports sur les progrès du Kosovo en matière de libéralisation des visas (le plus récent datant de juin 2018). En juillet 2018, la Commission européenne a confirmé que le Kosovo avait satisfait aux deux exigences en suspens, remplissant ainsi tous les critères de référence définis dans la feuille de route sur la libéralisation des visas. Le Parlement européen a voté en faveur de la proposition de la Commission européenne, qui est en attente au Conseil de l’Union européenne[1].
Malgré les évaluations positives de la Commission européenne concernant le respect des critères de référence, plusieurs États membres y sont restés opposés jusqu’à présent, invoquant des problèmes d’État de droit. Selon le ministère néerlandais des affaires étrangères, le pays souffre d’un niveau élevé de corruption et de criminalité organisée et le soutien au processus de libéralisation des visas pour le Kosovo n’est pas suffisant au sein du Conseil.[2] Toutefois, la position néerlandaise a pu évoluer. Lors du sommet du Conseil européen qui s’est tenu les 23 et 24 juin 2022[3], le Premier ministre Mark Rutte a déclaré à la presse :
« […] sur la libéralisation des visas pour le Kosovo, vous pouvez espérer que cette année ou l’année prochaine, nous pourrions franchir l’étape suivante, car ils ont fait beaucoup en termes d’État de droit et d’indépendance du système judiciaire »[4].
La déclaration de M. Rutte qualifiant l’octroi de la libéralisation des visas de « prochaine étape », est significative car c’était la première fois qu’un officiel néerlandais indiquait un changement de position potentiel sur le processus de libéralisation des visas du Kosovo. Ces développements mettent en lumière un changement prudent mais significatif vers un ton plus ouvert et positif dans le discours néerlandais [5].
Après des années d’attente, des signes positifs sont également perçus en Allemagne. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, lors de sa visite au Kosovo en avril 2021, a déclaré que le Kosovo « a rempli tous les critères pour la libéralisation des visas et qu’elle devrait être accordée »[6].
Selon le ministère français des Affaires étrangères en 2019[7], concernant la situation des visas au Kosovo, et l’État de droit, les évolutions positives de l’époque étaient trop récentes pour endiguer suffisamment les phénomènes de corruption, reconnaissant que des progrès ont été réalisés mais pas suffisamment. Dès lors, la poursuite de la mise en œuvre des réformes apparaît essentielle pour produire des effets tangibles en termes d’État de droit et de lutte contre la corruption et le crime organisé. Cependant, lors de la réception pour la fête nationale française, l’ambassadeur de France au Kosovo a donné des signaux positifs en déclarant que des progrès significatifs ont été réalisés sur la question de la libéralisation des visas, bien qu’elle n’ait pas reçu le feu vert sous la présidence française[8], ce qui pourrait être une indication que la position française évolue également[9].
Le rapport 2021 du Kosovo, publié par la Commission européenne, indique que, dans l’ensemble, la corruption est largement répandue et reste un sujet de grave préoccupation. Ainsi, malgré des efforts significatifs, il est nécessaire d’avoir une volonté politique forte et continue pour s’attaquer efficacement aux risques de corruption systémique et une réponse robuste de la justice pénale à la corruption de haut niveau. Alors que le gouvernement de Pristina est confronté à la méfiance et à l’incrédulité d’un certain nombre d’États membres de l’UE quant à son sérieux et à ses réalisations dans la lutte contre la corruption et le crime organisé[10], il convient de mentionner que les efforts du Kosovo en matière de réforme de l’État de droit ont été notés par les observateurs internationaux de la démocratie et de l’État de droit. Selon l’organisme de surveillance international Transparency International, qui a publié son dernier indice de perception de la corruption en janvier 2021, le Kosovo a progressé en gagnant 17 places, réalisant ainsi la plus forte amélioration annuelle[11]. En outre, le Kosovo a obtenu le meilleur classement de son histoire dans le dernier rapport de Freedom House, où il a atteint un rang de 37,5 sur 100 en matière de démocratie, contre 36,5 en 2021[12].
D’autre part, en ce qui concerne la politique intérieure de plusieurs États membres, motivée par les inquiétudes liées à la migration, qui a entravé les efforts visant à approuver l’exemption de visa pour les Kosovars, il convient de mentionner que l’année dernière, les citoyens du Kosovo ont représenté l’avant-dernier groupe de demandeurs d’asile dans l’UE par rapport aux autres pays de la région. Environ 1 600 citoyens kosovars ont demandé l’asile dans l’UE en 2021, ce qui représente une baisse de 95 % par rapport à 2014, année où 34 000 citoyens kosovars ont demandé l’asile[13][14]. Avec de tels progrès, le Kosovo espère influencer les convictions des États membres de l’UE sceptiques qui exigent continuellement des avancées concernant les questions susmentionnées au Kosovo.
En général, la liberté de circulation des Kosovars continue d’être prisonnière des contradictions de l’UE et des différences qui existent entre les États membres. Tant que les préoccupations des États membres opposés à l’UE ne seront pas suffisamment prises en compte, le Kosovo restera dans la salle d’attente[15].
Par conséquent, ce n’est pas le moment de jouer au jeu des reproches pour savoir qui a échoué dans le processus de libéralisation des visas. Il convient plutôt de prendre une série de mesures concrètes et de discuter des possibilités de surmonter le problème plutôt que de se contenter de blâmer et de comparer.
En outre, les relations de bon voisinage et la coopération régionale sont essentielles au processus d’intégration européenne du Kosovo et de tout autre pays de la région qui aspire à rejoindre l’UE. Pour avoir de bonnes relations et une bonne coopération, les citoyens de la région doivent pouvoir se déplacer librement dans les pays des Balkans occidentaux. Or, ce n’est pas le cas au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine. Cette dernière ne reconnaît pas l’indépendance du Kosovo, et les deux pays maintiennent un régime de visa strict. Le fait d’attendre des mois et de subir des procédures longues et souvent compliquées pour obtenir un visa afin de se rendre en Bosnie-Herzégovine éloigne de nombreux Kosovars de ce pays, même pour des opportunités commerciales. Individuellement, de nombreuses opportunités d’affaires et de carrière sont manquées en raison du régime des visas entre la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo[16]. Ce régime est particulièrement néfaste pour la génération émergente de jeunes désireux de s’engager dans la mobilité des jeunes et des étudiants au sein des Balkans occidentaux[17]. La communauté bosniaque du Kosovo est particulièrement touchée par ce régime. Non seulement ils sont tenus de posséder un visa s’ils souhaitent se rendre dans l’UE, mais ils sont également tenus d’avoir un visa pour visiter leur pays d’origine. Ces deux pays, qui prétendent avoir une perspective européenne tout en appliquant des visas, semblent loin de se rapprocher des valeurs européennes. La région doit être connectée à la fois en interne et avec l’UE. Par conséquent, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo devraient abolir en priorité le régime de visas existant[18].
L’isolement n’est pas une valeur européenne
Pourtant, et malgré ce long processus, l’approbation et le soutien du Kosovo à l’égard de l’UE et du processus d’intégration restent parmi les plus élevés de toute la région. Comme le montre le sondage d’opinion publié par le portail web européen sur les Balkans occidentaux[19], une majorité de 90% est favorable à l’adhésion à l’UE. Cette situation est particulièrement intéressante pour l’un des auteurs de ce Policy Brief, à savoir Fjollë Ibrahimi, qui a initié ce Policy Brief en tant qu’assistante de recherche ; a terminé ses études de troisième cycle en droit et a ensuite eu l’opportunité de faire un stage et de faire partie de l’organisation EuropaNova à Paris, qui a été créée pour permettre au plus grand nombre de mieux comprendre la construction européenne. Si l’on considère l’ensemble de la situation du point de vue de la dimension sociale, une priorité essentielle devrait être la libre circulation afin d’améliorer les chances d’adhésion à l’UE et d’assurer aux citoyens un avenir plus prospère. Ainsi, tous les citoyens, et en particulier les jeunes, devraient avoir la possibilité de voyager et de rencontrer d’autres jeunes Européens de différentes nationalités. En échangeant des opinions, des points de vue, des idées et des cultures, nous apprenons à nous connaître et à nous connaître nous-mêmes. L’Europe est aussi une expérience.
L’isolement crée des obstacles pour tous les citoyens, en particulier pour les jeunes, qui ne peuvent se déplacer librement en Europe à la recherche de meilleures opportunités d’éducation et de formation. Même si les programmes de l’UE tels qu’Erasmus jouent un rôle essentiel dans la promotion de l’éducation, les étudiants doivent encore passer par des procédures coûteuses et fastidieuses pour participer pour bénéficier de formations ou de conférences proposées par différentes universités prestigieuses en Europe. L’élément d’échange culturel en permettant aux citoyens de se rencontrer est important car c’est ainsi que des ponts sont construits entre les gens, entre les communautés – et c’est ainsi que l’Europe est faite après tout. En outre, ce sont des occasions pour les citoyens kosovars et, en particulier, pour les jeunes, de montrer le potentiel qu’ils peuvent apporter à l’Union européenne.
En outre, la libéralisation des visas peut également déclencher des mouvements positifs dans la sphère économique. L’un des objectifs de l’accord de stabilisation et d’association entre l’UE et le Kosovo, entre autres, est de soutenir les efforts du Kosovo pour développer sa coopération économique et internationale.
En effet, le développement économique est également soulevé par une formation à court terme ou une mise en réseau des entreprises, mais la participation est souvent difficile en raison du régime des visas. Cela a également un impact important sur l’attraction des investissements étrangers. L’intégration et la mobilité des personnes et des ressources entre les pays marquent le début de nouvelles connexions et relations entre les entreprises et les gouvernements. La croissance économique est favorisée par le commerce, les accords économiques et les partenariats. Cela ferait sans aucun doute progresser le Kosovo, cela ouvrirait la porte à la création de plus de partenariats commerciaux entre les entreprises du Kosovo et d’ailleurs dans l’UE, encourageant la croissance économique et réduisant le chômage dans le pays[20].
Cela peut être observé à partir des pratiques d’autres pays de la région comme l’Albanie, le Monténégro et la Macédoine du Nord, où le commerce avec l’UE a augmenté de manière significative après la libéralisation des visas. Les avantages économiques de l’intégration européenne ont été véritablement compris après la création du marché unique et la suppression de toutes les barrières physiques internes. La liberté de circulation sans entraves ouvre la voie à des partenariats entre les entreprises et les citoyens, et ainsi, tous les acteurs économiques pourraient avoir la possibilité, par exemple, d’envoyer plus facilement leur personnel soit pour une formation, soit pour des activités commerciales dans les États membres de l’UE. Sur la base de ces arguments, nous estimons que le Kosovo devrait profiter de la liberté de circulation des personnes et des ressources.
Les initiatives visant à approfondir la coopération culturelle entre le Kosovo et les États membres de l’UE sont très appréciées. Dans ce contexte, nous pouvons mentionner la Déclaration d’expression d’intérêt[21] visant à établir des relations stables et stratégiques entre la France et le Kosovo et, également, l’adhésion du Kosovo en tant que membre associé à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en octobre 2018. Toutes ces initiatives qui expriment l’intérêt de soutenir divers projets entre les deux pays sont liées à nouveau à l’impact qu’aurait la suppression des visas. Nous pouvons prendre en exemple le fait que le Kosovo est devenu membre observateur de l’OIF en 2014 et qu’il s’est depuis engagé dans une politique volontariste de promotion de la langue française dans le pays. Néanmoins, pour accomplir efficacement cet objectif ambitieux, les Kosovars devraient pouvoir suivre les cours de langue ou les formations dispensées en France ou dans un autre pays européen aussi facilement que les autres citoyens européens, sans procédures longues et coûteuses.
Nous estimons qu’en raison des évolutions que connaît le monde, le besoin des gens d’avoir le plus d’interaction possible les uns avec les autres est accru. La difficulté d’accès physique à d’autres pays grâce aux visas empêche les Kosovars d’utiliser leurs capacités et leur énergie dans les processus qui se déroulent en Europe et qui sont étroitement liés au Kosovo. L’objectif devrait être d’accroître l’inclusion de la société kosovare dans la culture européenne afin de faciliter l’intégration de l’État dans l’UE à l’avenir. Nous pouvons mentionner ici l’excellent travail que l’ambassade de France à Pristina réalise dans le domaine de la coopération culturelle. Par exemple, l’inclusion d’acteurs culturels kosovars dans des festivals organisés en France au cours de l’été 2021[22]. Grâce à ces rencontres dans des événements de grande qualité avec des institutions culturelles prestigieuses, les participants kosovars ont acquis une connaissance plus approfondie de la culture française, qu’ils peuvent partager avec leurs familles et amis lorsqu’ils rentrent chez eux. Cependant, ces rencontres devraient être accessibles à tous les citoyens qui souhaitent y participer. L’intégration européenne du Kosovo doit se faire progressivement, et la fin de l’isolement doit être considérée comme une première étape.
Pour conclure, le processus de libéralisation des visas du Kosovo, toujours en attente au Conseil de l’Union européenne, devrait être traité comme une question urgente. Avec les crises auxquelles l’Europe est confrontée aujourd’hui, et avec les trois récentes demandes d’adhésion à l’UE[23] de l’Ukraine, de la République de Moldavie et de la Géorgie, l’UE doit accélérer le jeu et supprimer enfin les visas pour les Kosovars. Le pays potentiellement candidat doit pouvoir avancer dans son processus d’intégration européenne et bénéficier de la même perspective que les autres pays de la région.
[1] https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/kosovo-report-2021_en.
[4] https://newsroom.consilium.europa.eu/videos?keywords=Rutte (23 June 2022, from minute 2:37).
[5] https://www.clingendael.org/sites/default/files/2022-08/Light_at_the_end_of_the_tunnel.pdf.
[6] https://euobserver.com/world/151874.
[7] https://www.senat.fr/questions/base/2019/qSEQ190410179.html.
[8] https://kosovapress.com/en/the-french-ambassador-gives-positive-signals-about-visa-liberalization/.
[9] https://www.schengenvisainfo.com/news/will-kosovo-get-visa-liberalization-this-time/.
[10] https://kfos.org/en/publications/114/visa-liberalization-kosovos-saga-eu-path.
[11] https://www.transparency.org/en/cpi/2021.
[12] https://freedomhouse.org/country/kosovo/nations-transit/2022.
[16] https://kosovotwopointzero.com/en/mission-impossible-get-bosnia-herzegovina/.
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Quel rôle pour la promotion de la santé dans l’Union européenne de la santé ?
Jusqu’à présent, l’Union européenne de la santé s’est largement concentrée sur la tâche nécessaire d’améliorer la sécurité sanitaire. Une Union de la santé plus complète doit également prendre en compte la promotion de la santé. Mais que signifie la promotion de la santé ? S’agit-il simplement d’un instru- ment destiné à encourager les comportements individuels, ou cela peut-il être plus que cela ? Une Union véritablement axée sur la promotion de la santé nécessite une Union plus sociale.
La santé est devenue un exemple classique de coopération et d’intégration de l’UE en réponse à des crises. La crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine (maladie de la « vache folle ») a été déterminante pour le renforcement des normes de sécurité alimentaire. L’épidémie de SRAS de 2003 a entraîné la créa- tion du Centre européen de contrôle des maladies (ECDC). Aujourd’hui, avec le Covid-19, nous assistons au développement d’une vision large et ambitieuse – bien que quelque peu vague – de la santé dans l’UE : l’Union européenne de la santé.
Si le fait d’accorder plus d’attention à la santé est considéré par la plupart des gens comme une amélioration bienvenue, il est également important de se pencher sur le type d’intégration de l’UE en matière de santé : Quels sont les raisonnements sous-jacents et les voies actuellement explorées dans le cadre de la proposition d’Union européenne de la santé, et quels sont les coûts d’opportunité potentiels des options négligées ?
Jusqu’à présent, l’objectif de l’Union européenne de la santé est de « [protéger] la santé des Européens et de [répondre] collectivement aux crises sanitaires transfrontalières ». Son plan d’action se concentre sur la sécurité sanitaire, la stratégie industrielle pour les contre-mesures médicales et l’innovation numé- rique. Cependant, il est très peu question de l’importance de la promotion de la santé. La promotion de la santé a été réduite à l’exhortation et à l’incitation des gens à prendre leurs responsabilités et à faire des choix sains. Si la promotion de la santé est comprise en ces termes étroits, il est compréhensible que l’UE ne concentre pas ses efforts sur elle, surtout si l’on considère ses compétences formelles limitées dans ce domaine.
Mais la promotion de la santé peut et doit être bien plus que cela. Les facteurs qui façonnent la santé de la population sont nombreux et d’une grande portée. Au début des années 2000, l’Organisation mondiale de la santé a produit un ensemble de travaux axés sur les « déterminants sociaux de la santé ». Il s’agit des conditions sociales dans lesquelles vivent les gens, notamment l’accès à un logement décent, à l’éducation, aux soins de santé, aux transports actifs, à des espaces urbains sûrs, etc. Aujourd’hui, la recherche s’intéresse de plus en plus à la compréhension des déterminants macrosociaux de la santé. Il s’agit des conditions, processus et dynamiques de pouvoir socio-économiques et politiques qui affectent directement et/ou indirectement la santé de la popu- lation par le biais de causalités complexes et multi-niveaux.
L’austérité est un bon exemple de déterminant macrosocial de la (mauvaise) santé. Les mesures d’austérité prises en réponse à la crise de la zone euro ont été désastreuses pour la santé : la Grèce, l’Espagne et le Portugal ont connu une augmentation des taux de suicide et des épidémies de maladies infec- tieuses, tandis que l’accès aux services de santé s’est restreint. Les recherches ont démontré que, plus que la crise elle-même, c’est le type de réponse budgétaire et la force des mécanismes de protection sociale qui ont dé- terminé les résultats en matière de santé. En tant que telles, les activités de gouvernance économique et de coordination budgétaire de l’UE contribuent à façonner la santé publique, non seulement parce qu’elles ont un impact sur les systèmes de santé, mais aussi parce qu’elles prescrivent l’orientation générale des dépenses publiques des États membres.
Par rapport à la crise de la zone euro, la réponse de l’UE à la crise Covid-19 a constitué une nette amélioration. Les règles budgétaires de l’UE ont été sus- pendues par le déclenchement de la clause d’évasion générale dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. Cela signifie que les États membres ont davantage de liberté pour dépenser et emprunter comme ils l’entendent afin de reconstruire leur économie. L’UE a également mis à disposition un plan de relance de 806 milliards d’euros (NextGenerationEU). Cela diffère considérable- ment de l’austérité imposée il y a dix ans. La question est de savoir si cela reflète un changement durable dans la façon dont les décideurs politiques envisagent les dépenses publiques, et s’ils reconnaissent l’importance de services publics et sociaux dotés de ressources suffisantes pour promouvoir la santé au-delà des périodes de crise exceptionnelles.
Pour développer une vision à long terme d’une Union européenne plus saine, nous devons comprendre la promotion de la santé non pas comme une simple prévention des maladies à un stade précoce, se limitant à influencer les comportements individuels. Au contraire, la promotion de la santé peut être un effort de transformation visant à créer des conditions de vie propices à la santé au niveau de la population. C’est ce que l’on appelle une approche « salutogénique » de la santé publique, qui s’intéresse aux origines de la santé plutôt que de se concentrer uniquement sur la prévention des maladies.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’Union européenne ? L’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) dispose qu’ « un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union ». Cela ne doit pas se traduire par l’attribution de davantage de compétences en matière de santé et de soins de santé. Au contraire, prendre l’article 168 au sérieux signifie créer des conditions de vie durables et favorables à la santé grâce aux compétences propres de l’UE, déjà existantes. Si elle est comprise en ces termes, une Union européenne de la santé qui promeut la santé devrait être un projet transformateur, qui crée une Europe plus sociale.
En bref, une Union de la santé progressiste ne doit pas seulement ren- forcer la résilience pour faire face à un avenir marqué par les crises, elle doit surtout s’efforcer de guérir ces crises. Cette dernière tâche est plus compliquée. Elle exige de repenser de manière plus fondamentale des méthodes de travail considérées comme acquises. Elle est susceptible de se heurter à des obstacles institutionnels plus nombreux et ne dépend pas uniquement de l’UE. En revanche, sécuriser les chaînes d’approvisionnement en contre-mesures médicales et améliorer l’utilisation de l’intelligence artificielle pour se préparer aux futures pandémies est certainement utile et plus facilement compatible avec les compétences existantes de l’UE et une vision orthodoxe de l’UE en tant que projet créateur de marché. Cependant, cela ne suffit pas à s’attaquer aux causes profondes de la vulnérabilité aux futures pandémies, qui incluent l’augmentation des inégalités, mais aussi le changement climatique. Outre des mécanismes de sécurité sanitaire nouveaux et améliorés, l’Union européenne de la santé doit se traduire par une Union plus sociale, plus durable sur le plan environnemental et plus axée sur la justice mondiale.Tout cela est égale- ment essentiel à la promotion de la santé.
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La guerre et l’état de notre Union
Dans son dernier discours sur l’état de l’Union, la présidente Von der Leyen a eu raison de se concentrer sur les défis posés par la guerre en Ukraine, mais elle a manqué de vision à long terme et de plan pour faire face à sa nature réelle.
Oui, la guerre sur notre continent est certainement le défi central de la prochaine phase du projet européen. Mais la guerre d’aujourd’hui diffère de celles que nous avons connues tout au long de l’histoire de l’humanité. Certes, la guerre est toujours multidimensionnelle, impliquant une confrontation humaine dans plusieurs domaines, depuis le militaire, le logistique, l’international, l’économique, le social, la communication, jusqu’au psychisme et au corps humain.
Néanmoins, le contenu actuel de toutes ces dimensions est radicalement nouveau : les nouvelles armes très sophistiquées, la menace nucléaire, l’interdépendance énergétique, l’urgence climatique, l’impact global de la guerre, l’ampleur des sanctions et contre-sanctions économiques, le cyberespace et les outils numériques, les aspirations démocratiques humaines à la paix. Face à cette nouvelle réalité de la guerre, l’Europe a essentiellement deux choix : soit se fragmenter en différentes réactions nationales ou nationalistes et perdre cette guerre, soit s’élever à un nouveau niveau d’unité, de coordination et de capacité d’action. Comment ce dernier choix doit-il se concrétiser ?
En ce qui concerne son action extérieure, ce qui est en jeu, c’est la capacité de l’UE à constituer une coalition plus large de forces défendant un ordre de règles mondiales, le rôle du système multilatéral, le respect des nations démocratiques souveraines et une coordination internationale plus efficace concernant les défis mondiaux communs, qui devraient être prioritaires par rapport aux conflits régionaux.
En matière de sécurité et de défense, l’enjeu est de renforcer l’alliance de l’OTAN, mais aussi le pilier spécifique de la défense européenne avec une meilleure coordination des forces armées européennes et les investissements en cours, y compris dans la cybersécurité.
En ce qui concerne la dimension numérique croissante de la guerre, l’UE devrait renforcer sa propre façon de façonner la révolution numérique en insistant sur les normes mondiales, au-delà de la concurrence stratégique actuelle entre les États-Unis et la Chine. Les marchés numériques, et notamment les grandes plateformes, doivent être réglementés conformément à nos valeurs, et il devrait en être de même pour le développement du potentiel de l’économie des données et de l’intelligence artificielle.
Enfin, et surtout, la guerre est aussi une bataille de récits qui devrait être menée dans un cadre garantissant le pluralisme, le professionnalisme et l’accès aux preuves, tout en luttant contre la désinformation.
Concernant l’énergie, l’enjeu est de se découpler de la Russie et de se découpler du carbone. Il s’agit d’un défi énorme, avec plusieurs compromis, car l’augmentation des coûts du gaz pourrait être utilisée comme un argument pour revenir à d’autres sources d’énergie carbonées. Néanmoins, ces coûts croissants du gaz devraient plutôt être utilisés comme un levier pour atteindre nos objectifs climatiques en passant plus rapidement à des solutions sans carbone. Cette tension ne peut être résolue qu’avec une intervention européenne très proactive, en utilisant des instruments plus forts tels que des marchés publics conjoints pour acheter du gaz provenant de sources non russes, tandis qu’une véritable Union de l’énergie est construite, avec un réseau électrique commun et en comptant sur des sources d’énergie européennes et non européennes à zéro carbone telles que l’hydroélectricité, l’éolien, le solaire, l’hydrogène et de nouvelles formes de nucléaire. Cette transition devrait également être soutenue par les nouvelles préférences des consommateurs en faveur des énergies à faible teneur en carbone, d’une plus grande efficacité énergétique et d’utilisations plus sobres de l’énergie.
Afin de prévenir le risque d’une crise économique et sociale plus profonde, les prix de l’énergie devraient également être régulés, notamment pour protéger les groupes les moins favorisés de la population, les PME ainsi que les entreprises à forte intensité énergétique qui risquent de réduire leur production et leurs niveaux d’emploi.
Mais comment financer tout cela ? Une taxe exceptionnelle sur les bénéfices supplémentaires réalisés par les entreprises qui produisent de l’électricité à partir d’autres sources, ainsi qu’une contribution de solidarité des entreprises qui réalisent des bénéfices supplémentaires grâce à la hausse des prix du gaz sont en effet justifiées. Elles peuvent être utilisées pour réduire le coût de l’énergie pour les plus vulnérables, mais aussi pour financer la transition vers de meilleures solutions énergétiques.
Néanmoins, même sans guerre, le type d’investissement nécessaire pour mener à bien la transition vers une économie sans carbone est beaucoup plus important et doit être soutenu par une stratégie d’investissement globale mobilisant tous les instruments privés et publics. En ce qui concerne les aspects budgétaires, il semble tout à fait justifié de prolonger la capacité européenne renforcée créée pour répondre à l’impact de la pandémie de Covid-19. Les budgets nationaux devraient également disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour investir à long terme, tout en réduisant les niveaux de la dette publique.
Toutes ces évolutions politiques exigent une capacité de décision et d’action beaucoup plus élevée dans une situation d’urgence. C’est pourquoi l’approfondissement de l’intégration européenne devient vital pour garantir la capacité européenne à résister à un chantage évident et sophistiqué de la part de la Russie de Poutine et à développer une autonomie stratégique plus forte en matière d’énergie, d’alimentation, de matières premières, de capacités industrielles et numériques. Mais l’approfondissement est également nécessaire pour accélérer la transition vers un modèle économique à faible émission de carbone, tout en assurant la cohésion sociale nécessaire et la protection des groupes vulnérables, si nous voulons éviter que les populistes d’extrême droite ne gagnent du terrain politique, comme nous le constatons dans plusieurs cas nationaux récents.
Cette nouvelle phase du projet européen ne peut émerger que si certaines réformes fondamentales sont introduites dans le processus décisionnel impliquant les institutions européennes et si le soutien politique nécessaire est également mobilisé via de nouvelles formes de démocratie participative.
Les récentes décisions de l’UE concernant une nouvelle vague d’élargissement sont pleinement justifiées par un impératif géopolitique et moral. Cette nouvelle vague d’élargissement devrait également s’appuyer sur une dimension politique plus forte du projet européen, en impliquant tous ces nouveaux pays dans une coordination plus poussée des affaires étrangères et des politiques de sécurité, ainsi que sur leur intégration plus forte dans tous les principaux réseaux européens, de l’énergie au numérique, en passant par la recherche, la culture et l’éducation.
Cette nouvelle vague d’élargissement est certainement une entreprise historique majeure du projet européen. Pour qu’elle réussisse, elle doit s’accompagner d’un plan précis d’approfondissement et de réforme des traités de l’UE.
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Who cares ? Pourquoi nous avons besoin d’un « Care Deal » pour l’Europe
Les soins sont l’épine dorsale de notre société. Comme les femmes constituent encore la majorité des soignants, leurs choix dans la vie personnelle et professionnelle sont trop souvent limités. Les soins sont un besoin collectif et une responsabilité partagée. Il est temps d’investir massivement dans le « Care Deal » global pour l’Europe et d’aller vers un modèle équitable en matière de revenus et d’évolution de carrière pour les soignants.
Les soins sont l’épine dorsale de la société. Prendre soin des autres, et être pris en charge, à différents stades de notre vie, est l’une des expériences émotionnelles centrales de notre humanité partagée. Les soins sont essentiels à la pérennité de la société. Et dans la période post-Covid, il est crucial de s’efforcer de mettre en place une économie holistique pour le bien-être de tous. La grande majorité des soignants, qu’ils soient rémunérés ou non, sont des femmes. Et, pendant bien trop longtemps, le travail de soins des femmes a été considéré comme acquis.
La pandémie de Covid-19 a été un signal d’alarme et a montré, une fois de plus, à quel point nous sommes tous interdépendants. Elle a révélé à quel point la société dépend des femmes pour fournir des services de soins de première ligne et essentiels. Les femmes sont largement majoritaires en matière de soins non rémunérés (soins informels) et rémunéré, car elles constituent la majorité de la main-d’œuvre dans tous les secteurs liés aux soins (santé, éducation, aide sociale et travail domestique). Cependant, ce travail est souvent sous-évalué et sous-payé et a des conséquences à vie sur l’indépendance économique des femmes et leur accès aux droits sociaux, notamment en matière de retraite. Comme en témoigne l’écart stupéfiant de 40 % entre les pensions de retraite des hommes et celles des femmes dans l’UE, les femmes âgées sont souvent exposées à la pauvreté.
Depuis bien trop longtemps, le manque chronique de services de soins abordables, accessibles et de qualité dans l’UE constitue un obstacle important à la pleine participation des femmes à tous les aspects de la vie économique, sociale, culturelle et politique. Pour pallier le manque de services de soins, les femmes migrantes, parfois sans papiers et souvent sous-payées, sont employées dans de nombreux pays comme domestiques. Cette situation rend le travail des femmes migrantes dans le secteur des soins vulnérable à l’exploitation et aux abus. Seuls neuf États membres de l’UE ont ratifié la convention de l’OIT sur les travailleurs domestiques, qui garantit la protection des femmes travaillant dans le secteur des soins.
Cela révèle l’absence d’un véritable choix sur la manière de concilier vie professionnelle et vie privée et la persistance des stéréotypes sexistes qui continuent de sous-tendre la répartition des tâches entre les femmes et les hommes à la maison et dans la société. Les politiques de soins et la fourniture de services de soins sont donc des conditions préalables à la réalisation de l’égalité entre (toutes) les femmes et les hommes. Il est temps de passer du modèle désuet du bon père de famille unique soutien financier à un modèle égalitaire en termes de carrière et de salaire pour les soignants et soignantes.
Le « Care Deal » pour l’Europe repose sur une approche holistique du cycle de vie qui reconnaît que les besoins en matière de soins et la fourniture de services de soins sont essentiels à chaque étape du cycle de vie. Les soins ne sont pas une question de dépendance, mais un droit humain fondamental, un élément essentiel de notre solidarité collective et un filet de sécurité qui répond à nos besoins de soins collectifs et à nos responsabilités les uns envers les autres. Les soins font partie du continuum de la transition vers une économie verte : prendre soin de la planète et prendre soin les uns des autres vont de pair. Nous avons besoin d’un « Care Deal » pour mettre ce continuum sur un pied d’égalité avec le « Green Deal », qui nécessite également des mesures solides, notamment l’affectation de fonds européens pour investir dans ce secteur.
L’investissement dans l’économie des soins pour des structures et services de soins abordables, de qualité et accessibles doit être l’élément central d’un modèle social et vert européen. Ces services devraient être fournis principalement par le secteur public et être disponibles dans les zones urbaines et rurales pour tous ceux qui en ont besoin, en tenant compte des droits fondamentaux, de l’indépendance et de la responsabilisation des bénéficiaires des soins.
La question qui se pose maintenant est la suivante : la stratégie européenne de soins de la Commission européenne aborde-t-elle ces questions ?
Tout d’abord, le Lobby européen des femmes salue la stratégie européenne en matière de soins comme un premier pas vers un accord sur les soins pour l’Europe. Elle a enfin mis les soins à l’ordre du jour politique, ce qui est le cœur d’un modèle économique féministe.
Nous nous réjouissons tout particulièrement que le rôle de longue date des femmes en tant que « tissu » de nos sociétés soit enfin reconnu. La stratégie en matière de soins place les femmes au cœur de l’action, ce qui constitue une étape cruciale dans la réalisation de l’égalité entre les sexes. Elle vise également à répondre à nos préoccupations concernant le manque de services disponibles, abordables, accessibles et de qualité, dont nous sommes témoins depuis des décennies.
D’autre part, nous aimerions voir des mesures plus efficaces, notamment des objectifs précis pour les soins de longue durée, et des plans d’action pour atteindre les objectifs en matière de garde d’enfants. Bien que ces objectifs aient été revus à la hausse par rapport aux objectifs de Barcelone de 2002 en matière de garde d’enfants – qui, 20 ans plus tard, n’ont toujours pas été atteints – il est difficile de voir comment la stratégie de soins permettra de les atteindre d’ici 2030. Nous pensons que les services d’éducation et de développement de la petite enfance devraient être gratuits afin de garantir que tous les enfants – filles et garçons – de tous les milieux sociaux aient un départ égal dans la vie. Cela nécessiterait des investissements publics substantiels, mais contribuerait à garantir que la prochaine génération de femmes et d’hommes soit équipée pour façonner le monde de demain, placer les soins au centre et réaliser l’égalité des sexes. Compte tenu des écarts importants entre les femmes et les hommes en ce qui concerne le travail de soins, en particulier le travail de soins non rémunéré, nous avons besoin d’un modèle économique et social qui valorise les soins et les place au centre. Prendre soin les uns des autres, de la planète, des enfants, des parents et des personnes ayant des besoins spécifiques ne doit pas être une réflexion après coup, mais l’objectif central de notre modèle économique. C’est pourquoi nous avons besoin d’un « Care Deal » pour l’Europe. Nous pensons que la stratégie européenne en matière de soins constitue un premier pas dans cette direction.
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Défendre le droit à l’avortement, c’est défendre la démocratie
Si l’avortement a toujours été une question contestée, nous avons récemment assisté à un regain d’activisme visant à éroder le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps. L’action concertée en cours visant à saper les lois sur l’avortement doit être analysée et contrée de manière décisive. L’inclusion du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE pourrait constituer une étape importante.
En quelques années seulement, les Polonaises sont passées d’un régime d’avortement déjà très répressif à une interdiction de fait, dont plusieurs femmes ont payé le prix ultime en perdant la vie. Les Américaines se sont réveillées fin juin de cette année 2022 pour découvrir que leur Cour suprême avait supprimé ce qui était un droit à l’avortement garanti par la Constitution depuis 1973. Alors qu’il y a quelques semaines à peine, en Hongrie, le gouvernement du Premier ministre Viktor Orbán a adopté une série de mesures médicalement infondées visant à humilier et intimider les femmes pour qu’elles renoncent au recours à l’avortement.
Ces développements révèlent deux vérités inquiétantes : premièrement, les gains que nous pensions avoir obtenus dans de nombreux pays en ce qui concerne les droits des femmes dans les années 1960, 1970 et 1980 ne sont pas sûrs et pourraient être annulés. Deuxièmement, ceux qui souhaitent faire reculer les droits fondamentaux ne sont pas seulement les mêmes conservateurs sociaux et religieux qui ont des convictions personnelles sur certaines questions éthiques, mais des acteurs politiques ambitieux et avisés qui ne partagent pas toujours nos valeurs communes de démocratie libérale et d’État de droit.
Nos droits de l’homme sont-ils en danger ?
Un premier point à clarifier est l’affirmation de longue date de nombreux acteurs conservateurs selon laquelle « le droit à l’avortement n’existe pas en droit international ». Cet argument est un faux-fuyant car il existe tout un ensemble de lois, de jurisprudences et d’orientations normatives internationales qui fournissent des garanties explicites pour l’accès des femmes à la santé, à la vie privée et à l’autonomisation, ce qui inclut des sauvegardes pour l’accès à un avortement sûr et légal. Deux exemples récents : le premier vient du Parlement européen, avec le rapport de l’eurodéputé S&D Predrag Fred Matić sur la situation de la santé et des droits sexuels et reproductifs (SDSR) dans l’UE, adopté en juin 2021. Le rapport de Matić exhorte spécifiquement « les États membres à dépénaliser l’avortement, ainsi qu’à supprimer et combattre les obstacles à l’avortement légal ». Fait notable, son rapport a été adopté par un large consensus politique, seule l’extrême-droite ayant voté en bloc contre lui. Les directives sur l’avortement publiées en mars 2022 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) constituent un développement distinct. Les directives de l’OMS sur la prise en charge de l’avortement appellent spécifiquement à « la dépénalisation totale de l’avortement » et soulignent que « l’avortement doit être disponible à la demande de la femme, de la jeune fille ou de toute autre personne enceinte ». De même, ces directives « recommandent de ne pas adopter de lois et autres réglementations qui restreignent l’avortement en fonction des motifs » ou « en fonction des limites d’âge gestationnel ».
Cependant, malgré les progrès du soutien politique et une meilleure compréhension des conséquences sur la santé publique des lois et des politiques en matière d’avortement, dans de nombreux cas, nos lois nationales n’ont pas suivi. Avec le Forum parlementaire européen sur les droits sexuels et reproductifs (EPF), nous avons publié en 2021 l’Atlas européen des politiques d’avortement, qui analyse la législation réglementant l’avortement dans plus de 40 pays de l’Europe géographique et les résultats sont surprenants. Loin de disposer de lois solides qui garantissent un « droit à l’avortement », 14 pays et territoires réglementent encore l’avortement via leurs codes pénaux ou criminels respectifs. Dans 19 pays, les femmes sont confrontées à des obstacles à l’accès à l’avortement qui ne sont pas médicalement nécessaires, et 31 pays n’incluent pas l’avortement dans la couverture financière du système national de santé. En bref, la grande majorité des pays européens, y compris ceux qui se considèrent comme progressistes et dont le public pense que « l’avortement est un droit de la femme », ont des lois obsolètes qui ne reflètent pas cette réalité.
Il existe un plan visant à saper les droits de fondamentaux
Ces lois obsolètes sur l’avortement sont devenues la cible d’un nouveau groupe d’acteurs en Europe, les « acteurs anti-gender ». Leur objectif est d’annuler les progrès réalisés en matière de droits sexuels et reproductifs, de droits humains des minorités sexuelles et même d’égalité des sexes. Ces acteurs anti genre sont apparus dans presque tous les pays européens, ils se sont organisés, mis en réseau et sont devenus professionnels. Ils ont une stratégie claire, en trois volets, pour saper les lois sur l’avortement, à savoir 1) empêcher, 2) restreindre et, finalement, 3) interdire l’avortement. On voit bien comment cela se joue en Europe et au-delà.
Tout d’abord, en termes de restriction, les acteurs anti-genre ne veulent pas dire qu’il faut empêcher les grossesses non désirées par l’accès à la contraception volontaire (l’EPF produit également un Atlas européen des politiques de contraception, qui met en évidence la manière dont les pays peuvent améliorer l’accès à la contraception), mais plutôt qu’il faut empêcher les femmes enceintes d’accéder à des informations fiables et à des services de santé légaux en les trompant à travers un labyrinthe complexe de faux sites web et de faux centres de santé connus sous le nom de « centres de crise de la grossesse ». Ces derniers opèrent dans de nombreux pays européens et sont parfois financés par les pouvoirs publics. Les mesures récemment adoptées en Hongrie, qui obligent les femmes à écouter un prétendu « battement de cœur » embryonnaire à un stade du développement gestationnel où les cellules ne se sont pas encore transformées en organes, sont un exemple de « restriction ». Quant à l’interdiction, nous voyons à quoi elle ressemble en Pologne, où les femmes n’ont aucun accès légal à l’avortement, ce qui entraîne ce que beaucoup appellent une interdiction de facto.
Il ne s’agit pas d’évolutions distinctes, résultant d’une opinion publique de plus en plus conservatrice. Ils reflètent l’organisation stratégique des acteurs anti-genre, qui forgent des alliances avec des acteurs politiques souvent situés à la droite dure, radicale et extrême du spectre politique. Et il ne faut pas sous-estimer leur pouvoir : en 2021, l’EPF a publié un rapport intitulé « Tip of the Iceberg : Extrémistes religieux – Les bailleurs de fonds contre les droits de l’homme en matière de sexualité et de santé reproductive en Europe ». Il révèle qu’entre 2009 et 2018, plus de 700 millions de dollars US ont alimenté ce mouvement en Europe. Ces sommes provenaient de la droite chrétienne américaine, de nombreuses organisations désormais proches de l’ancien président Trump, ainsi que d’oligarques russes (qui ont été mis au ban en raison de leurs opinions extrémistes et de leur implication dans l’agression contre l’Ukraine), ainsi que de nombreuses élites sociales et économiques à travers l’Europe. Ces financements n’ont pas seulement servi à saper le droit à l’avortement, mais aussi à priver les minorités sexuelles de leur droit à l’égalité de traitement, à mener des campagnes contre la Convention d’Istanbul sur la violence à l’égard des femmes, et même à contester les droits des enfants devant les tribunaux européens.
La nécessité d’aller de l’avant
Comprendre que les droits fondamentaux auxquels nous tenons depuis longtemps sont en danger est un premier pas. Comprendre qui les conteste et comment ils sont organisés, financés et alliés à des forces qui visent à saper la démocratie libérale et, parfois, sont même des rivaux géopolitiques du projet européen, est crucial pour développer des contre-stratégies. La principale de ces stratégies consiste à mieux garantir toute une série de droits de l’homme, par exemple en actualisant nos lois sur l’avortement à la lumière des directives de l’OMS sur la prise en charge de l’avortement (2022). De nombreuses lois sur l’avortement ont été adoptées il y a plusieurs dizaines d’années et reflètent le consensus médical et politique des générations passées, tandis que les lignes directrices de l’OMS sur la prise en charge de l’avortement pour 2022 constituent une nouvelle référence pour moderniser notre législation et répondre à l’aspiration selon laquelle « l’avortement est un droit de la femme ».
Ensuite, nous devons comprendre comment l’avortement, et les droits fondamentaux connexes en matière de sexualité et de reproduction, sont délibérément instrumentalisés par des acteurs politiques visant à détricoter la démocratie libérale et l’État de droit. Ce n’est pas un hasard si l’interdiction de l’avortement en Pologne est le résultat d’un tribunal constitutionnel contesté qui fait l’objet d’un examen de l’État de droit par l’UE, si le renversement de l’arrêt Roe vs Wade aux États-Unis s’est produit après que l’administration Trump a empilé trois nominations à la Cour suprême, ou si le Premier ministre Orbán utilise l’avortement et les droits des minorités sexuelles comme un pion dans ses jeux de pouvoir avec l’UE.
Le droit à l’avortement, les droits des minorités sexuelles et l’égalité des sexes devraient figurer en bonne place dans nos tentatives de mettre fin au recul démocratique que nous observons dans le monde entier, y compris dans l’UE. Enfin, dans la perspective des élections européennes de 2024, construisons un large consensus politique sur l’idée d’inclure le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, qui servirait de garantie pour toute une série de droits humains connexes ainsi que pour la démocratie.
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Le temps des grands récits, pas des notes de bas de page
Nous vivons une époque complexe. Il y a une guerre en Europe, une crise du coût de la vie, des inégalités croissantes et des signes d’agitation sociale grandissante. Mais ces temps sont aussi une occasion unique d’écrire l’histoire, d’essayer de servir un objectif plus grand et de faire la différence. Ainsi, alors que dans quelques jours, le Parti socialiste européen (PSE) célébrera le jubilé de ses 30 ans, la question est de savoir si le Congrès de Berlin, tant attendu, peut devenir un moment charnière. Les décisions et les actions qui y seront prises se traduiront-elles par un nouveau récit grandiose, par un nouveau chapitre modeste, ou le Congrès se contentera-t-il d’une note de bas de page dans les chroniques de l’Europe pour les prochaines décennies ?
Sans aucun doute, il existe un potentiel incroyable. Le PSE est une organisation aux fières traditions qui n’a jamais reculé devant l’ambition de se relever dans des situations difficiles. Aux moments charnières, il a toujours assumé ses responsabilités et a vu les plus grands leaders du mouvement intervenir. Leur engagement sans réserve a contribué au développement de la coopération politique européenne, car ils ont été les artisans de décisions novatrices. Paul-Henri Spaak accepte de se présenter à la première présidence de l’Assemblée parlementaire européenne à la condition que les socialistes de tous les États membres le soutiennent, posant ainsi les jalons de la création de ce que l’on appelle aujourd’hui les « groupes parlementaires ». François Mitterrand accueille le premier rassemblement paneuropéen aux Champs-Elysées pendant la campagne de 1979. Wim Kok a dirigé le groupe de travail qui a rédigé le concept de partis transnationaux, qui a ensuite été négocié au Parlement européen par – entre autres – Enrique Barón Crespo.
Ces trois exemples montrent que depuis la création du bureau de liaison des partis socialistes de la Communauté européenne (en 1957), en passant par la Confédération des partis socialistes de la CE et au sein du PSE (qui a hérité des traditions précédentes en 1992), c’est la combinaison d’un leadership fort, d’idées convaincantes et d’un lien étroit entre la politique nationale et européenne qui a déterminé les moments les plus marquants. C’est cette compréhension très spécifique de la valeur de la coopération européenne qui rend les partis membres plus forts, y compris au niveau national – car en influençant l’Europe, ils protègent les droits et offrent des opportunités aux citoyens de leur pays. Et c’est quelque chose qui mérite d’être rappelé aujourd’hui, alors que l’ambition ne devrait pas seulement consister à persévérer dans les moments difficiles.
Certes, la situation est complexe. L’impact de crises multiples est amplifié par les effets de la guerre en Ukraine. En outre, il est difficile de prévoir comment les choses vont évoluer. Mais il existe des points d’ancrage sur lesquels on peut s’appuyer. La famille progressiste peut être fière que ses représentants occupent des postes clés au niveau de l’UE et que, d’ores et déjà, encore près de deux ans avant les prochaines élections européennes, ils aient obtenu un bilan impressionnant. Même s’ils ne constituent pas le groupe le plus important du PE, ils ont réussi à maintenir la primauté de la politique progressiste dans de nombreux portefeuilles clés : transition verte et durabilité, politique internationale, emploi et affaires sociales, égalité des sexes et avenir de l’Europe. Mais ces réalisations doivent être transcendées et se traduire par de nouvelles actions concertées, ce qui ne se fera pas par défaut.
La solidarité et l’unité initiales entre les États membres lorsqu’ils ont été confrontés à la guerre s’estompent lentement. Les responsables politiques ressentent de plus en plus la pression de répondre d’abord au niveau national à la crise de l’énergie et du coût de la vie. D’autant plus que les récentes élections dans plusieurs États membres de l’UE montrent une tendance à des changements tectoniques dans les scènes politiques des pays respectifs. Cette pression ne peut que renforcer les divisions entre les sociaux-démocrates des différents États membres, qui, dans la dimension intergouvernementale, se sont efforcés de parvenir à un accord sur une position commune concernant des questions clés telles que le financement de la Facilité pour la relance et la résilience (FRR), les moyens de réaliser le paquet « Fit for 55 » et la question du revenu minimum. Cette situation appelle une conversation plus complète et honnête, qui pourrait déboucher sur un nouveau grand récit. Le moment est en effet venu de présenter un nouveau programme fondamental et d’exposer le type d’Europe que les sociaux-démocrates veulent construire, la taille et la force qu’ils veulent lui donner, et la manière dont ils veulent s’engager à travailler conjointement à chaque niveau de gouvernance.
Mais parce que les temps sont durs, ce nouveau récit ne peut consister en un compromis qui ne fait que masquer un plus petit dénominateur commun. Il s’agit de faire des choix audacieux. Il s’agit de dire ce qui, précisément, définit le progrès, le bien-être et la justice sociale pour tous, et aussi ce qui ne le définit pas. En fait, comme le montre l’histoire, c’est la clarté et non la complaisance qui a uni les sociaux-démocrates dans le passé. À une époque où de nombreux sociaux-démocrates étaient sceptiques à l’égard de l’intégration européenne, craignant que rien de bon ne puisse résulter de ce processus essentiellement axé sur le marché, Willy Brandt a profité du congrès de la Confédération à Bonn pour mettre en avant le concept d’une Europe sociale. Puis, en 2002, malgré les divergences de vues autour de la « troisième voie », Robin Cook et Ton Beumer ont réuni une majorité de premiers ministres de l’Est et de l’Ouest au Conseil du PSE à Varsovie, manifestant ainsi l’unité du PSE sur les questions les plus profondes de l’époque : l’élargissement et l’intégration. Et enfin, troisièmement, sous la direction de Poul Nyrup Rasmussen, le Parti s’est engagé dans la discussion sur une nouvelle forme de capitalisme financier, bien avant que la crise financière de 2008 ne frappe. Lorsque la crise est arrivée et qu’elle a résonné dans de nombreux conflits entre les pays, le PSE s’est tenu debout et coordonné, doté d’une vision claire de la nouvelle Europe sociale. Ce fier héritage est encourageant : il prouve que lorsqu’il y a eu une volonté, il y a toujours eu un moyen. Le prochain Congrès devrait y trouver un réconfort.
Mais il y a une autre chose qu’il faut noter. Même l’idée la plus grandiose ne sera qu’une pensée s’il n’y a pas une communauté motivée par cette idée et une organisation qui assure sa mise en œuvre. Au cours des dernières décennies, le PSE s’est développé – il est passé d’une sorte de comité de consultation au sein de l’Internationale socialiste (Bureau de liaison) à ce qui est aujourd’hui le Groupe S&D (au PE jusqu’en 2004), puis a évolué vers ce qu’il est aujourd’hui : un réseau puissant aux ressources stables. Le bond en avant organisationnel a toujours été une décision consciente et politique qui, menée avec une certaine clairvoyance, visait à maintenir la pertinence du PSE, ses liens et son rôle de protagoniste des innovations organisationnelles.
Ainsi, il n’est pas égoïste de se tourner vers l’intérieur et de consacrer du temps à une profonde réforme organisationnelle. En 1973, Alfred Mozer a rédigé un document sur la réforme interne de la Confédération, précisément pour la préparer à ce qui était le grand élargissement de l’époque. Sa contribution a permis à la Communauté de passer de six à neuf États membres. Ensuite, Ben Fayot et Thijs Wöltgens ont rédigé une proposition visant à transformer la Confédération en PSE, en plein débat sur le nouveau traité de Maastricht et les changements géopolitiques sur le continent. Karin Junker et plusieurs autres politiciennes féministes ont profité de cette période pour créer un Comité permanent des femmes (aujourd’hui PSE Femmes) et les jeunes militants ont créé ECOSY (aujourd’hui YES). Plus tard, en 2004, lors du Congrès qui a vu un contexte de leadership – le cœur de la dispute était le cadre de l’organisation, le concept gagnant étant axé sur la création d’ouvertures et, par conséquent, sur le renforcement des stratégies d’ouverture vers la société civile comme le Forum progressiste mondial. Enfin, à un moment critique où le Traité constitutionnel pour l’Europe a été rejeté et où les perspectives d’avenir de l’UE semblaient des plus sombres, Poul Nyrup Rasmussen et Philip Cordery ont proposé une réforme qui, pour la première fois, relierait fortement les travaux du PSE au calendrier de l’UE, mais qui ouvrirait également l’organisation aux militants du PSE.
Alors qu’une réflexion est en cours sur le nouveau règlement relatif aux partis transnationaux, le moment est venu de lancer un appel en faveur d’un nouveau type de format et de méthodes de travail qui permettraient à l’organisation de prospérer. Un format qui en ferait une communauté vibrante, influente et inclusive, qui offre un format qui s’engage à la fois dans les contextes formels et dans de nouvelles voies – notamment pour s’assurer de ne pas laisser les votes de la génération Tik Tok être conquis par d’autres. En effet, les attentes d’aujourd’hui sont différentes, comme il est apparu clairement lors de la dernière campagne électorale au Parlement européen, ou à la fin de la Conférence sur l’avenir de l’Europe (une expérience que l’Europe devrait répéter bientôt, compte tenu du contexte radicalement différent – avec la guerre en cours – et des débats sur les nouveaux concepts d’intégration (comme, par exemple, avec le discours d’Olaf Scholz à Prague en août dernier). La nécessité de disposer d’une plate-forme moderne et fonctionnelle reste cependant la même, où les dirigeants des partis nationaux peuvent échanger et converger leurs points de vue ; où les idées peuvent être développées et les pratiques partagées afin de renforcer les partis et les organisations sœurs ; où les actions et les campagnes peuvent être coordonnées ; où les normes sont fixées pour s’assurer que le progressisme européen incarne en pratique les idéaux de la démocratie participative, délibérative et représentative.
Ce dernier point est extrêmement important, afin que, lorsqu’une nouvelle Page du Progrès sera écrite – peut-être à l’occasion d’un autre jubilé dans un avenir pas trop lointain – la liste de ceux qui ont façonné ces moments soit équilibrée en termes de genre, mais aussi en termes géographiques, générationnels et ethniques.
Le moment est venu, et aucun autre ne sera donné. C’est le moment de s’unir derrière un nouveau grand récit pour l’Europe et de construire une organisation dynamique. Les élections au Parlement européen sont dans moins de deux ans, et elles appartiendront à ceux qui feront preuve de courage et qui oseront proposer de véritables alternatives, contre vents et marées.