Votre activité à la commission du Budget au Parlement européen vous a placée au cœur des trois grandes problématiques qui animent la vie politique et le débat public européen.
1/ Comment le budget européen peut-il servir les objectifs du Green deal ? Selon vous les compromis passés avec les Etats réticents à s’engager pour la neutralité carbone affaiblissent-ils sérieusement les ambitions de verdissement du budget ?
Premièrement, au travers de ses nouveaux objectifs inédits. 30% pour le climat, 10% pour la biodiversité d’ici 2026. Mais aussi via l’intégration d’un principe clé : le « do no harm principle » soit « ne pas nuire ». C’est-à-dire que les fonds européens ne pourront pas financer des mesures ou des projets qui vont à l’encontre de la protection du climat et de la biodiversité.
Je pense que les compromis passés avec les États n’affaiblissent pas sérieusement le verdissement du budget. Premièrement parce que les programmes qui servent nos objectifs écologiques ont été renforcés lors de la négociation finale. Je pense à Horizon Europe qui a reçu 4 milliards en plus : c’est via ce programme que l’Europe finance la recherche et l’innovation pour des modes de transport plus propres ou des carburants moins polluants
Il ne faut pas oublier la stabilisation de la PAC et de la politique de cohésion, premiers programmes contributeurs à la lutte contre le changement climatique dans le budget européen. En effet, la PAC constitue un outil pour l’utilisation durable des sols, des fonds pour la protection du climat et de la biodiversité et les paiements verts !
Quant aux États réticents à la neutralité carbone, rappelons que nous avons un accord pour une neutralité continentale. Et c’est important, car les points de départ ne sont pas tous les mêmes. La Suède avec sa puissance hydroélectrique permise par son environnement part d’un point plus élevé que la Pologne. C’est pourquoi nous avons mis en place un Fonds pour la transition juste, qui est pour le coup 100% vert. Avec ce compromis les États qui partent de plus loin acceptent de s’engager sur la voie de la neutralité climatique. C’est gagnant-gagnant pour le verdissement du budget européen, et de notre continent.
2/ La grande innovation du plan de relance EUnextGen tient en partie à l’accord obtenu sur les ressources propres. Parmi les pistes de ces ressources, une taxe sur les matières plastiques est envisagée. Pouvez- vous en expliquer les enjeux et les mécanismes éventuels ? Et à quelles conditions selon vous est-il envisageable de faire une ressource propre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ?
Il ne s’agit pas d’une taxe, mais d’une « contribution nationale », car l’UE ne peut lever l’impôt. On ne va pas envoyer des fonctionnaires européens collecter une taxe chez les producteurs de plastique. Ce sont les États qui devront contribuer au budget européen selon leur taux d’emballages plastiques non-recyclés. Il n’est nullement inscrit qu’un État devra répercuter ces coûts sur les entreprises productrices de plastique. Ce n’est donc pas une taxe mais une incitation. Ainsi, au plus un État est vertueux, au moins il paiera. Et vice-versa. L’État aura deux possibilités : soit il met en place des mesures pour diminuer la production de plastique, soit il investit dans l’industrie du recyclage. Voire les deux !Concernant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, les recettes devront abonder le budget européen. Quel que soit le montant généré. Il n’y a qu’une condition législative, technique, à sa transformation en ressource propre : son intégration dans la Décision sur les ressources propres. Sans cela, le mécanisme peut exister, mais ses recettes ne pourront abonder le budget européen. La Commission a déjà annoncé qu’elle présenterait une nouvelle Décision en même temps que ses propositions du paquet climat. Le mécanisme y sera intégré.
Toutes ces ressources constituent une grande avancée pour l’UE : nous avons obtenu un accord de remboursement juridiquement contraignant où elles se retrouvent toutes dans un calendrier précis. C’est sans précédent. La dernière ressource propre mise en place date de 1988. Le sujet a toujours été extrême- ment compliqué pour les États. Cependant, en 2019, les Européens ont voté pour plus de justice fiscale et pour une Europe qui assure leur prospérité. Les deux sont des objectifs fondamentaux de ces ressources propres. La réforme en cours va complètement changer le visage de notre projet politique.
3/ La Pologne et d’autres États membres ainsi que des acteurs industriels continuent d’opposer transition énergétique et les enjeux écologiques d’une part à la préservation de l’emploi et aux intérêts économiques d’autre part. Quel rôle pourrait jouer le Budget européen pour aider à dépasser cette opposition ?
Un rôle de bâtisseur de ponts. Prenons l’exemple du Fonds de transition juste. L’Union a établi un objectif commun de neutralité climatique d’ici 2050 au niveau continental. Toutefois, nous devons prendre en compte les réalités qui s’imposent à chaque État. C’est pourquoi nous avons créé ce fonds (17,5 milliards avec NextGenEU) qui permettra d’accompagner tous les territoires dans la dé- carbonation des systèmes énergétiques et de l’économie. La Pologne en sera la première bénéficiaire. C’est là qu’on voit que la solidarité européenne est un outil pour l’établissement d’objectifs communs. Et le budget européen, c’est un outil de solidarité.
Par ailleurs, le budget européen comporte aussi les fonds de la politique de cohésion. De nouveau, la Pologne est première bénéficiaire nette. Ces fonds sont essentiels pour le développement de son économie. En contrepartie de la convergence économique, nous demandons à travers ces fonds d’atteindre des objectifs climatiques et de respecter le Green Deal. C’est tout un exercice d’équilibre.
C’est aussi la voie empruntée aujourd’hui par de nombreux plans de relance. Celui du gouvernement français, par exemple, qui fait de la transition écologique le principal levier de la reprise en lui consacrant près de 30 milliards d’euros. Ou celui de l’UE, qui n’octroiera aux Etats membres leur part des 750 milliards mobilisés qu’à condition qu’ils en consacrent 37% à la transition écologique. C’est aussi une logique qui est au cœur du Pacte vert.
Quand on sait que la transition écologique promet un potentiel énorme en termes de compétitivité, de création d’emplois, d’innovations, d’activités, de développement rapide de nouveaux marchés, on réalise bien vite que le pari du développement durable n’est pas si risqué.