1. La question du traitement de l’information européenne par les médias français revient régulièrement dans le débat sur les raisons de la faible adhésion des citoyens à la construction européenne. Pensez-vous qu’on fasse ici un bon procès aux médias français ? Les autres Etats membres de l’UE sont-ils mieux lotis à votre connaissance
Je ne suis pas vraiment surpris, mais je ne souscris pas à l’idée très répandue que l’Europe soit la mal-aimée des médias en France. Je pense qu’il faut plutôt raisonner en termes d’ignorance et de paresse intellectuelle de la part des directions des médias. Ignorance parce que très peu d’efforts sont réalisés pour comprendre le fonctionnement des institutions européennes et paresse intellectuelle parce qu’il existe encore une sorte de réflexe pavlovien autour de cette phrase très répandue dans les rédactions : « c’est compliqué expliquer et cela n’intéresse pas le public ». Or la participation aux dernières élections européennes prouve qu’il y a une vraie demande d‘information sur l’Europe. Cela dit, de vrais efforts ont été réalisés lors du scrutin de mai 2019, le problème c’est que cela n’intervient que tous les cinq ans et après les médias ont tendance oublier ce qui se passe à Bruxelles et Strasbourg. C’est dans cet espace d’oubli que le combat pour une information européenne pérenne doit être mené. Mais globalement je trouve que les médias ont fait le job pendant la campagne.
2. La complexité des dossiers européens est souvent considérée comme un obstacle pour le public, malgré leur importance et leur impact sur notre corpus législatif national. Faut-il selon vous traiter l’information européenne d’une façon différente pour la rendre abordable, ou bien n’est-ce là qu’un faux débat ?
Tout dépend de quelle actualité européenne nous parlons. Il y a, à mon sens, deux types d’actualité européenne. Une actualité européenne que je définirai comme horizontale. Elle est politique, sociale, culturelle, sportive, économique etc. Cette actualité, nous baignons dedans en permanence. Coronavirus en Europe les tremblements de Merkel qui sont analysés comme si c’était notre propre chef d‘État, montée de l’extrême droite dans les pays de l’Union, crise des migrants en Grèce, répercussion du Brexit sur la présence des britanniques en France et pour nos pêcheurs. Avec le Brexit on a même eu l’impression que Boris Johnson était notre Premier ministre ! Cette actualité fait presque en permanence les unes des journaux, des TV et des radios françaises. Elle est devenue notre actualité nationale voire locale. En ce sens, cette actualité prouve bien que l’espace européen est devenu notre espace et que nous nous sommes approprié cet espace. Imaginez un instant que la crise du Coronavirus en Europe dans les autres pays soit traitée en bref dans les éditions, ce serait un non-sens pour le public.
Il y a cependant ce que j’appelle l’actualité européenne verticale, celle des institutions, Conseil, Parlement, Commission, Cour de justice, etc. Il n’y a pas à proprement parler de volonté d’écarter les sujets européens, mais peut être un réflexe professionnel lié à une règle de proximité que tous les journalistes apprennent dans les écoles et qu’ils essaient d’appliquer. Or avec les institutions européennes on est dans le contre champ de cette règle : c’est loin, c’est compliqué donc on ne traite pas et on suppose a priori que cela n’intéresse pas le grand public. Je pense enfin qu’il y a de la part des institutions elles-mêmes un vrai travail de simplification dans leur communication à réaliser à destination du grand public.
3. Un des reproches souvent adressés aux écoles de journalisme serait un formatage un peu étroit des étudiants d’où proviendraient leur méconnaissance et désintérêt pour les sujets européens. Est-ce le cas ? Et si oui comment y remédier ?
Pour l’information européenne verticale, en faisant de la pédagogie, de la pédagogie et encore de la pédagogie avec des cours spécifiques tout au long du cursus qui devraient être obligatoires. D’une manière générale il y a un vrai effort de pédagogie à faire à destination des jeunes journalistes dans les écoles.
4. On voit se multiplier partout en Europe des attaques délibérées contre le pluralisme de la presse, l’indépendance des journalistes, la qualité de l’information. Pensez-vous que les libertés et l’État de droit soient menacés dans l’UE ? Que faudrait-il faire selon vous ?
Oui la liberté d’informer est clairement en danger dans certains pays d’Europe. Pour la première fois depuis que l’Europe s’est construite des journalistes ont été assassinés parce qu’ils avaient mis à jour des systèmes de corruption dans leurs pays. Pour la première fois des régimes démocratiques qui font partie de l’Union européenne et qui sont censés accepter la liberté d’informer pour adhérer à l’Union européenne menacent clairement les journalistes dans leur travail à travers des lois liberticides. Mais il n’y a pas besoin d‘aller voir dans ces pays pour constater que la liberté d’informer est menacée. Même en France je suis inquiet quand on se souvient de la violence du débat politique en 2017 pendant la campagne et l’attitude particulièrement violente que certains candidats – dont je tairai le nom – ont eu vis à vis de la presse en France. Dans notre pays nous sommes encore protégés Mais pour combien de temps ? Il y a un vrai sujet sur l’avenir de la liberté d ‘informer dans l’Union européenne. Il ne faut pas mettre la poussière sous le tapis en pensant que cela n’arrive que chez les autres dans d’obscures républiques bannières du bout du monde. Non, en Europe on assassine aujourd’hui des journalistes parce qu’ils font leur boulot ! Heureusement la justice fait son œuvre et réussit à faire condamner les coupables. Mais les clignotants sont au rouge oui !
5. Arte, Euronews, Eurozine, il existe des médias à vocation européenne, mais toujours un peu marginaux dans l’audience ou incomplets dans la forme. Pensez-vous qu’il serait utile à la construction de la démocratie européenne d’avoir un ou plusieurs médias d’audience continentale ? Et si oui, quelle forme devraient-ils prendre ?
Certains évoquent l’idée de quotas dans les médias pour traiter l’information européenne. Je n’aime pas trop cette idée car cela implique un caractère d’obligation. Or on risque de toucher par cette obligation au choix propres et éditoriaux des rédactions qui doivent garder leur liberté dans la nécessité de traiter ou non des sujets en fonction de leur intérêt. En revanche il faut créer un espace de traitement de l’actualité européenne spécifique dans des rendez-vous dédiés, magazine, chroniques. Là oui, il y a un gros manque ! Que ce soit au niveau continental ? Je n’en vois pas forcément l’intérêt. Commençons par faire le boulot correctement dans notre pays avant de raisonner médias européens à l’échelle continentale.