1. Vous êtes secrétaire général de l’ALE au Parlement européen, Alliance Libre Européenne, un groupe allié aux Verts au sein des Verts-ALE au Parlement européen. L’ALE est aussi un parti politique constitué de 49 partis régionalistes, autonomistes et nationalistes en Europe. Premièrement pouvez-vous expliquer pourquoi tous les élus européens de l’ALE ne siègent pas au sein du même groupe, puisque les élus néer- landophones de la N-VA sont membres du groupe CRE.
Quelles sont les grandes convergences qui réunissent les partis membres dans l’ALE ? Et quels en sont les clivages les plus notables ?
Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter à la création de l’ALE. Notre parti politique est né, en août 1979, à Bastia, quand le tout premier eurodéputé flamand nouvellement élu, Maurits Coppieters (1920-2005 et sa Fondation) a déclaré devant les membres de l’UPC (Unione di u Populu Corsu), « je serai aussi votre député ».
Cette parole est l’acte de naissance de l’ALE. Car dès lors les Corses, mais plus largement toutes les nations sans États et les minorités d’Europe, auraient un eurodéputé même si ce dernier n’avait pas été élu directement par eux. Depuis, l’ALE a vocation à représenter la solidarité entre les peuples en lutte à promouvoir l’autodétermination, l’Europe de la subsidiarité et la diversité culturelle et linguistique « in varietate concordia » comme le dit si bien la devise de l’Europe.
Concernant le groupe commun, en 1999 : il y a eu un premier accord au Parlement européen, renouvelé tous les 5 ans depuis, entre l’ALE d’une part et les Verts européens d’autre part. Cet accord politique reconnait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et défend la diversité culturelle au-delà de celle défendue par les États membres. Cet accord reconnait aussi le besoin d’approfondir la construction européenne et s’engage à la lutte contre le dérèglement climatique et la sortie du nucléaire et promeut aussi une politique sociale plus forte.
Le groupe VERT/ALE n’est donc pas un groupe technique, c’est un vrai groupe politique européen, qui ne se fonde non pas sur le plus petit dénominateur commun – comme c’est malheureusement trop souvent le cas à Bruxelles, notamment au Conseil européen – mais sur la volonté d’élargir la base sociale et politique de ses membres.
En 1999, les nationalistes flamands de la Volksunie siégeaient au groupe Vert/ ALE mais, au début des années 2000, le parti s’est divisé entre une aile droite (N-VA) qui s’est associée aux chrétiens démocrates du CD&V belges (d’ailleurs l’eurodéputée N-VA élue en 2004 siégeait au PPE avant de rejoindre le groupe Verts/ALE en 2009) et une aile gauche (Spirit), voire une aile écolo (qui a rejoint Agalev devenu ensuite Groen !). Après la disparition de la Volksunie, la N-VA a rejoint l’ALE, le groupe (en 2009) puis le parti (en 2010).
En 2014, la progression de la N-VA et les divergences entre nationalistes flamands et écologistes (notamment belges) ont compliqué les choses. Comme de nouveaux partenaires politiques se présentaient avec la constitution, autours des tories britanniques, du groupe CRE en 2014, la N-VA a choisi un autre groupe. Néanmoins, les échanges au parlement existent toujours sur le cœur de ce qui fait l’ALE (l’autodétermination, la diversité linguistique, la subsidiarité) et la N-VA fait toujours partie du parti ALE, en est un membre très actif. En outre, l’ALE siège unie au comité des régions (Groupe Alliance Européenne), y compris la N-VA. Ne pas être dans le même groupe au Parlement européen n’a pas limité nos actions communes, au contraire.
2. Les partis régionalistes, indépendantistes et nationalistes de l’ALE affichent enthousiasme et soutien pour la construction européenne. Faut-il le comprendre uniquement comme un défi à leurs capitales et pouvoirs centraux, ou est-ce structuré et pensé comme une valeur politique à part entière ? Y a-t-il des nuances à cette europhilie selon les contextes nationaux ? En outre, votre site officiel propose d’œuvrer à construire une Europe différente, et votre logo manifeste d’ailleurs un renversement de l’Europe, avec ce « E » à l’envers. Pouvez-vous préciser à quelle Europe vous aspirez ?
L’ALE a toujours porté un message pro-européen, ou plutôt « alter-européen » dans le sens où nous critiquons cette Europe qui est une Europe des grands États et des multinationales, alors que nous défendons une Europe de la diversité et de la subsidiarité. C’est en ce sens que notre logo présente un E à l’envers, non pas qu’on veuille défaire l’Europe, mais surtout qu’on en défende une autre.
Dans le monde d’aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, les États membres, aussi grands et puissants soient-ils, sont trop petits pour agir seuls sur le changement climatique, la lutte contre les paradis fiscaux, la taxation des multinationales ou même la lutte contre les pandémies. Parallèlement, ils sont trop grands pour pouvoir avoir l’agilité de répondre à des besoins sociaux de base et de proximité, notamment dans le domaine culturel, linguistique voire d’éducation ou de santé. Enfin, ils sont devenus inadaptés à la réalité démocratique notamment sur les demandes de revendications territoriales que cela passe par une évolution institutionnelle ou l’écoute des citoyens.
Pour schématiser, les membres occidentaux de l’UE sont nés au XIXe siècle et s’ils répondaient à une réalité économique, sociale et territoriale à cette époque, ils ne nous semblent plus adaptés aujourd’hui. L’Union européenne est l’échelon adapté pour de nombreux défis mais le besoin de rapprocher la décision des citoyens nécessitent en parallèle, et de façon simultanée, un transfert de compétences vers les nations sans État, les régions ou les territoires, et cela peut prendre la forme de nouvelles autonomies, de réunification voire d’indépendance.
Le projet européen est d’abord, et avant tout, un projet de paix. En cela, c’est un succès qui devrait pouvoir permettre d’ouvrir la question de la souveraineté, notamment territoriale, de façon apaisée. Ou sinon elle nous sera imposée, et potentiellement de façon violente, comme on le voit actuellement en Irlande du Nord. La souveraineté se partage horizontalement entre les citoyens mais aussi verticalement entre les différents niveaux de pouvoirs (régional/national, étatique, européen). Mais le projet européen c’est aussi un projet de reconnaissance mutuelle de notre diversité. C’est partiellement un succès, avec 24 langues officielles, mais pourquoi le catalan, le basque, le breton ou le corse ne sont-ils pas reconnus de la même façon que le maltais, le gaélique ou le français ? Enfin, l’Europe c’est surtout un projet de solidarité entre les peuples mais aussi entre les citoyens. Et pour l’instant, même si des étapes ont été franchies récemment par le biais de la Banque Centrale Européenne ou encore le plan de relance européen, nous ne sommes pas au niveau de solidarité sur lequel on devrait pouvoir compter au sein de l’UE.
3. On a vu le conflit entre État espagnol et nationalistes catalans connaître une escalade très rapide ces dernières années, culminant dans les heurts autour du référendum du 1er octobre 2017, la condamnation et l’emprisonnement de plusieurs leaders catalans, dont deux anciens députés du groupe Verts-ALE, et l’exil spectaculaire du leader Carles Puigdemont. Depuis, les tentatives de la justice espagnole pour le faire arrêter et extrader vers l’Espagne se sont heurtées aux juridictions des Etats membres.
A la lumière de cette situation que pensez-vous de l’état de l’Etat de droit dans l’UE actuellement ?
L’Etat de droit va très mal en Europe mais, trop souvent, on ne regarde que la situation hongroise et polonaise sans parler des autres dérives : à Malte et en Slovaquie des journalistes ont été assassinés ; en France, les violences policières se sont multipliées notamment dans le cadre de la crise dites « des gilets jaunes » ; en Espagne, la police a frappé des citoyens qui se rendaient pacifiquement et démocratiquement, quoi qu’on pense du référendum catalan, aux urnes le 1er octobre 2017. En réalité, on a l’impression que tout est fait pour donner raison aux gouvernements de Budapest et Varsovie qui pensent que l’État de droit ne vaut la peine d’être défendu que quand il s’agit de gouvernements qui ne plaisent pas à certains. On pourrait aller plus loin et dire que tant qu’un gouvernement fait partie d’une des 3 grandes familles politiques (PPE, S&D et Renew) il est à l’abri de toute poursuite – sinon ils peuvent être dans le viseur de Bruxelles. Et ça vaut aussi pour la situation économique : quoi qu’on pense de Tsípras et malgré ses erreurs, il semble avoir été maltraité aussi car il n’avait pas sa carte du club « PPE-S&D-RE ». Le véritable problème nous semble être le Conseil européen qui est juge et partie : la place des États dans l’Union est trop grande et le traité de Lisbonne a accentué cette dérive. En réalité, l’État de droit n’a pas de couleur politique et doit être défendu en toute situation sans « si » ou « mais » et de façon proportionnée.
4. Alors que le référendum perdu en 2014 semblait éloigner la perspective d’indépendance écossaise pour une génération, le Brexit semble avoir relancé la dynamique pour une Ecosse indépendante. Comment voyez-vous la situation ? y a-t-il un chemin pour l’Ecosse vers l’UE, et si oui, lequel ?
Rappelons que le principal argument contre l’indépendance de l’Écosse était le risque d’être exclu de l’UE en cas de vote positif. Les Ecossais ont donc voté contre l’indépendance en 2014 mais ont été exclus de l’UE contre leur gré 3 ans plus tard puisqu’à 62% ils ont voté, en 2016, pour rester dans l’Union.
Le chemin de l’Écosse vers l’UE existe et se trouve entre les mains des Écossais. C’est à eux de choisir leur avenir, de même que seuls les Catalans sont maîtres de leur avenir. Nul n’a le droit de s’opposer au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’ALE se bat pour qu’il soit traduit, dans les faits, au sein de l’Union européenne. Donc s’il y a une volonté écossaise, il doit y avoir un chemin pour l’Écosse.
5. Considérant les blocages et les difficultés institutionnelles actuelles de l’UE, les revendications régionalistes et indépendantistes pourraient-elles accentuer la fragmentation politique de l’UE et affaiblir sa position globale ? Comment l’ALE voit-elle le rôle de l’Europe dans le monde ?
L’Union européenne ne nous semble pas fonctionner pas pour 2 raisons principales qui n’ont rien à voir avec les mouvements régionalistes, autonomistes et indépendantistes. D’une part les chefs des exécutifs nationaux ont fait un coup d’État latent. Depuis Giscard et la création du Conseil européen, ils concentrent le pouvoir et ça s’est encore accentué avec Lisbonne. De facto, ils « gouvernent » alors qu’ils n’ont aucun pouvoir juridiquement parlant.
Nous sommes tributaires de la règle anti-démocratique de l’unanimité. Or, la démocratie c’est la protection de la minorité par la majorité. Et le fait majoritaire, une majorité pouvant faire ou défaire ce qu’une autre majorité a défait ou fait. Alors soit l’UE est compétente et on vote à la majorité (simple, qualifiée, des 3/5, des 2/3 ou autre) soit elle n’est pas compétente et elle ne légifère pas, ou à l’unanimité. Il ne nous semble pas tenable d’avoir les deux ! D’ailleurs avec 705 députés (issus d’environ 200 partis politiques différents) on trouve plus facilement des majorités qu’entre 27 ministres ! Donc le nombre d’entités siégeant à la table du Conseil – 27, 33 voire 50 – n’est pas le problème.
De plus, l’Europe est forte quand elle est cohérente et montre l’exemple. Elle ne peut prêcher, à juste titre, la démocratie, les droits fondamentaux, l’État de droit, la justice, le droit des peuples etc., à l’extérieur et ne pas le faire sur son sol. Comment défendre, à juste titre, le sort de Navalny, le prix Sakharov du Parlement européen , et ne rien dire sur le sort des prisonniers politique catalans ? Comment défendre le sort des journalistes tués par le régime atroce en Syrie et ne rien faire à Malte ? Comment lutter contre les paradis fiscaux dans le monde entier et en accueillir en son sein ? Il n’y a guère dans la lutte contre le changement climatique que l’Europe est peu critiquable même si on n’est pas encore au niveau de ce qui devrait être fait. L’Europe pèsera quand elle sera exemplaire et juste et portera vraiment un futur fondé sur la paix, la démocratie, l’État de droit, les droits fondamentaux, y compris le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le multilatéralisme, le développement durable et la justice sociale.