Les Lumières de Lynn Rietdorf

Lynn Rietdorf est conseillère politique climatique et énergie au parlement européen. Après avoir suivi une formation de juriste, elle rejoint le think tank EuropaNova, entre 2016 et 2017, avant de poursuivre son parcours européen au sein de la Commission européenne où elle exerce depuis.

Le « Pacte vert » est la première des priorités politiques lancées par la Commission Von der Leyen et, son approche globale et transversale de la transition vers une économie verte est sans doute un signe que le vent a tourné en Europe sur les questions écologiques.

Avec l’annonce du «Pacte Vert» par Ursula von der Leyen et l’apparition du terme «Green deal» dans le champ sémantique, Lynn Rietdorf revient sur ses fondements et ses implications au niveau institutionnel européen.


Ce texte représente les opinions de l’auteur et les propos n’engagent pas le parlement européen.

1. Parmi les textes approuvés par le Parlement, il y a celui de l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs d’ici 2035. Pensez-vous que tous les Etats européens réussiront à s’adapter afin d’appliquer cette norme ? La partie du budget du Plan de relance de chaque Etat sera suffisante ?

Donner cette date limite de 2035 va assurer une certitude au marché ; ils savent qu’à partir de maintenant, ils ne peuvent plus investir dans les recherches et le développement du modèle thermique. Ce n’est pas tant une question de budget ou d’aide financière puisque les producteurs de voitures qui doivent changer leur modèle de construction / production n’ont a priori pas à investir plus mais différemment.

Le signal en provenance de la Commission et du Parlement est fort : les constructeurs de voitures changent leur modèle pour produire des véhicules qui n’émettent plus rien. Donc je ne pense pas que c’est une question de budget, ni de plan de relance mais plutôt une question à régler entre Etats membres et producteurs.

A l’heure actuelle, on constate une forte inégalité entre Etats. Par exemple, aux Pays-Bas, avoir une voiture électrique ne pose pas de problème, on peut trouver facilement des chargeurs ou encore pour se déplacer et il ne faut pas suivre et un itinéraire spécifique pour savoir où sera la prochaine station pour charger la voiture. Dans la plupart des pays ce n’est pas le cas et cela amène à beaucoup d’hésitation chez les producteurs et les gens à parier sur le véhicule 100% électrique. Mais, encore une fois, en émettant cet objectif très clair, les Etats membres vont aussi commencer à mettre en place un réseau plus danse de chargeurs électriques. Et c’est là qu’il y a clairement besoin d’investissements : mettre en place les infrastructures aptes pour charger les nouveaux véhicules. L’argent du Plan de relance va aider pour financer ce changement, en particulier dans les pays ayant des ressources publiques limitées.

2. Le secteur automobile se rassemble avec l’Automotive Region Alliance, et fait jouer la solidarité frontalière pour demander des aides financières comme celles du ‘Fonds pour une transition juste’ dont les régions productrices de charbon bénéficient. Beaucoup de postes de travail sont en danger comment expliquer que ce point est particulièrement pris en compte au moment de décider de la fin des véhicules à moteur thermique.

Au niveau du maintien du niveau d’emploi le plus important doit se concentrer sur la formation du personnel. C’est vrai qu’il y aura des emplois qui n’existeront plus, en particulier tout ce qui touche la production des moteurs thermiques. C’est difficile d’en parler à l’heure actuelle car le travail -voire le métier – de ces personnes va disparaitre en tant que tel, mais il faut impérativement exposer les opportunités qui s’offrent à ces travailleurs et les accompagner dans le choix des formations à suivre pour se reconvertir.

Le discours ne doit pas trop s’appesantir parce qu’il va y avoir aussi des nouveaux emplois qui seront créés. L’analyse d’impact réalisée par la Commission européenne était positive. Certes, ce ne seront pas les mêmes métiers mais plus d’emplois que ceux perdus devraient être créés. L’urgence est de présenter ces opportunités et former les gens, dès maintenant car une fois le changement réalisé ce sera trop tard, toute formation prend du temps.

3. Que penser de la fin des quotas gratuits sur le marché carbone européen ? Selon vous, le système en place a atteint – ou est en train d’attendre – les objectifs prévus sur la réduction d’émission de CO2 par les entreprises ? Y a-t-il là un levier suffisant pour contribuer à la transformation et la décarbonation de notre modèle industriel menacé d’obsolescence ?

Notre marché carbone est un levier très puissant, il s’agit de celui qui fonctionne le mieux au monde et est le mieux établi. On constate clairement des réductions d’émissions importantes ces dernières années, depuis sa mise en place.

En l’état actuel de son fonctionnement, avant la révision actuellement envisagée, c’est vrai que puisqu’il y a beaucoup de quotas gratuits, beaucoup de secteurs – notamment le secteur de l’acier – qui ont reçu plus d’allocations gratuites que ce dont ils ont besoin pour couvrir leurs émissions. Ils en sont sortis gagnants : ils ont reçu de l’argent plutôt que de réduire leurs émissions. C’est un raté qu’il faut impérativement rattraper.

La fin des quotas gratuits envoie un signal très clair aux entreprises : elles doivent décarboner leur production. Quand on se penche précisément sur les émissions de CO2 enregistrées dans le cadre du marché carbone c’est surtout le secteur électrique qui a décarboné le plus mais c’était le secteur le plus facile à décarboner car il existe des solutions pour produire de l’électricité sans émettre du CO2. Les secteurs industriels qui continuent de recevoir des allocations gratuites ont décarboné très peu, on peut en déduire que l’incitation n’était pas très forte.

Avec la nouvelle réforme on peut imaginer un objectif plus clair, défini pour ces acteurs industriels, pour vraiment commencer à décarboner leurs productions. C’est difficile ; décarboner l’acier implique une production complétement diffé- rente et sa mise en place va couter cher. Les investissements nécessaires, le Parlement européen en a bien conscience et pousse pour plus d’argent pour le « Fonds d’innovation ». D’ailleurs, il est prévu de l’appeler « Fonds d’investissement pour le climat » parce que seuls les projets innovants favorisant les énergies renouvelables, pour des batteries ou des électrolyseurs pour produire de l’hydrogène vert, ce qui n’est pas vu comme une technologie destructive ou neuve. Cette technologie n’a pas le droit de bénéficier de l’argent de ce fonds, mais il faudrait quand même élargir le champ d’application du fonds pour donner « la carotte plus que le bâton » aux entreprises pour qu’elles aient un bénéfice en mettant en place des nouvelles méthodes de production qui sont propres.

Au Parlement, nous avons inclus une conditionnalité pour les entreprises pour qu’elles puissent recevoir des allocations gratuites. Les entreprises sont déjà obligées de faire des audits énergétiques, mais cela n’emporte aucune consé- quence si les entreprises ne mettent pas en place les recommandations données. Ainsi – ce que nous avons mis en place – si les entreprises n’appliquent pas ces recommandations, la partie des allocations gratuites qui leur est acquittée sera réduite. En plus, elles seront obligées de mettre en place un plan de décarbonisation, donc il faudra montrer comment elles comptent décarboner pendant les prochaines années afin de recevoir les allocations gratuites. Dit autrement, s’il n’y a pas de plan de décarbonisation ou si les entreprises n’arrivent pas à remplir les objectifs qui elles voudraient atteindre les allocations seront réduites. Ce projet apparaît comme un signal important, même s’il n’a pas encore été approuvé, voyons avec les prochains trilogues, peut être que l’on pourra se mettre d’accord avec le Conseil.

Pour un fonctionnement efficient du marché carbone, il faudrait idéalement commencer dès maintenant à conditionner les allocations gratuites. La grande question qui se pose est de savoir jusqu’à quand il y aura des quotas gratuits comme maintenant, parce que la Commission et le Conseil avaient proposé de les maintenir jusqu’en 2035, mais le Parlement voudrait terminer ce système en 2032. En réalité, il faut décarboner avant 2030, le temps nous est compté : certaines études expliquent que dans 4 ans on pourrait déjà avoir atteint la limite de + 1,5°.

Un deuxième point crucial est de savoir où les technologies pour produire de manière propre vont pouvoir être mises en place. Si on n’est pas les premiers en Europe, ça va être difficile car nous devrons encore acheter notre acier – produit le plus proprement possible – ailleurs : pour l’industrie européenne sera encore plus grave parce que cela signifie surtout qu’il n’y aura plus de production européenne. Il est donc capital pour l’industrie aussi de se dépêcher – dès maintenant – pour être les premières entreprises en Europe. Elles pourront ensuite exporter puisqu’il y aura une forte demande. La réaction rapide est la clé.

4. À ce stade du processus législatif, quels premiers enseignements pouvons-nous tirer du Green Deal ? Le fait que le Parlement européen n’ait pas voté en faveur de tous les textes met-il en danger la volonté de la Commission d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris ? Faut- il envisager des textes complémentaires ou modifier la substance des textes actuels pour pallier ce délai ?

À propos du vote du 8 juin 2022, c’est vrai que le Parlement a adopté le texte et les critiques tenaient surtout au fait qu’il n’était pas du tout assez ambitieux. Certes, on a perdu deux semaines, mais pour un objectif consistant à rehausser l’ambition du texte, le bilan est plutôt positif. Maintenant, même la Présidence tchèque, qui vient de s’ouvrir, est très soucieuse d’aller vite vers la conclusion de ce trilogue.

Ce paquet législatif est très important et si on échoue à le mettre en place avec des objectifs adéquats, on va perdre beaucoup de temps. Il vaut donc mieux prendre le temps maintenant pour arriver à des textes clairement assez forts pour permettre à l’Union de rester dans les objectifs de l’accord de Paris que de se dépêcher à adopter des textes et de ne pas les atteindre. Toutefois, le but de la Commission est de terminer la plupart des trilogues – et en particulier celui sur le marché carbone – avant la COP 27. Si on y arrive, il y aura de quoi s’en réjouir mais c’est plus important de mettre en place un texte satisfaisant, car le grand danger, on l’a vu, c’est la grande pression des lobbies industriels pour en tirer toujours un avantage. C’est aussi ce que le Conseil avec la Présidence française a fait quand il a voulu clôturer tous ces textes-là la dernière semaine de juin 2022 : il y a plein de clauses qui ont été négociées parce que le Conseil voulait terminer et obtenir un résultat. Je ne suis pas sûre que cela soit la meilleure approche parce qu’il faut vraiment que ces textes soient clairs et avec des bons signaux pour l’industrie.

Pour comparer avec les autres paquets législatifs, la Commission avait déjà proposé quelque chose d’ambitieux : à propos du marché carbone, on ne peut pas encore accepter des quotas gratuits en 2030, et si on donne l’espoir qu’en 2035 il y aura encore des quotas gratuits, l’industrie, à l’heure actuelle, ne prendra aucune initiative sous prétexte qu’il lui reste du temps. Avec le paquet Clear Energy, c’est déjà plus ambitieux : si on regarde les positions du Conseil et du Parlement ça a toujours été plus ambitieux de ce que la Commission avait proposé. Toutefois, on reste assez proche de la proposition de la Commission sur tous les textes. Par exemple, pour le modèle thermique le vote est passé de justesse et pareil au Conseil, tous ont beaucoup négocié – jusqu’à 3 heures du matin – pour se mettre d’accord. Cette querelle politique nous fait réaliser que la Commission a mis en place un paquet assez ambitieux et a fait un bon travail.

Maintenant, le grand défi est de garder ce paquet comme un ensemble cohérent parce qu’il y a toujours le risque d’affaiblir un texte au détriment d’un autre et donc, au final, on n’arriverait plus à l’objectif fixé au départ. Pour l’instant, il semblerait que cela fonctionne assez car les textes sont discutés dans leur ensemble. Quand le Parlement a rejeté le texte du marché carbone pour la première fois, il a aussi arrêté de voter pour le mécanisme d’ajustement aux frontières ainsi que pour le Fonds Social du Climat. Pour moi c’est un signe que tout le monde est conscient que ces textes ne peuvent pas être traités un par un mais qu’il faut respecter la logique d’ensemble car la modification de l’un va affecter l’autre. C’est cependant toujours compliqué parce que ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui négocient et chacun veut avoir sa priorité, donc ce n’est évident. J’espère qu’on réussira à garder l’objectif de 55% pour 2030 avec les textes qui sont sur la table.

La grande question maintenant c’est aussi de savoir si le taux de 55% est assez pour un objectif à 2030. Si on regarde les estimations de l’Agence état national d’énergie ou même du CCC, l’Europe devrait faire plus. Aussi, le Climate Change Advisory Report, qui a commencé à siéger à Copenhague va mettre un budget de carbone (il va commencer à y travailler l’année prochaine). Ce sera probablement intéressant de voir combien d’émissions il nous « reste », au moins en Europe. Selon les calculs réalisés au sein du groupe Verts/ALE, au début 2030, on aura déjà tout utilisé donc c’est intéressant de voir quelles politiques sectorielles pourront être mises en place pour rester dans les limites à ce moment-là.

5. Du point de vue de la Commission européenne où se trouvent les principaux blocages et comment faire pour les lever ? Est-ce qu’un potentiel blocage viendra des lobbies du secteur industriel ? Et comment on pourrait les convaincre à accepter ces textes ?

Des échanges ont déjà commencé avec le secteur de l’acier pour voir ce qu’il leur faudrait pour engendrer cette transition. Personne ne veut supprimer le secteur de l’acier européen évidemment, l’objectif est bien de les aider à amorcer la transition. Cela reste compliqué parce que, à l’heure actuelle, les producteurs d’acier restent butés sur le fait qu’il leur faut des quotas gratuits pour pouvoir calculer combien d’argent ils ont à disposition pour l’investir dans le nouveau processus qui prévoit des nouveaux instruments et machines.

C’est en cela que le Fonds d’Innovation peut être une solution. On pourrait verser des fonds aux projets mettant en place ces nouveaux processus de production propre. Si c’est cela qui peut convaincre le secteur industriel, on mettra plus d’argent car il faut bien admettre que le marché carbone crée actuellement de la richesse. Là se trouve un levier important mais, le problème, c’est que les fameux contrats de différence (Carbon contract for difference) ne sont pas encore effectifs : c’est là où les entreprises pourraient faire un calcul avec l’argent de ce fonds et participer à la réflexion avec les institutions.

Il s’agit impérativement de mettre en place un système dans lequel les entre- prises seront compensées pour les efforts réalisés. Cela passe aussi beaucoup par des aides des Etats et là, les nouvelles lignes directrices devraient permettre de les obtenir plus facilement mais il est difficile d’estimer leur facilité d’accès. Au-delà, au niveau des différents secteurs, ce sont les nouveaux entrants qui mettent déjà en place les processus propres et moins ceux qui sont déjà dans le marché : il est essentiel que les industries déjà dans le marché trouvent un moyen pour se transformer.

En général, maintenant je constate moins de blocages. Quand le Parlement a négocié sa position il y a eu énormément de démarches et lobbying, tout comme au Conseil. Le marché carbone sera le plus difficile à discuter au niveau politique, car ce sera difficile de trouver une date pour la fin des quotas, c’est sur ce point que, le 8 juin 2022, le Parlement a rejeté le texte. Il y a fort à parier que le Conseil sera assez ferme sur sa position aussi.

Sur le modèle thermique, cela devrait aussi évoluer dans le bon sens car les deux textes sont très proches l’un de l’autre. Pour la directive sur l’efficacité énergétique et sur l’efficacité des immeubles ainsi que sur l’énergie renouvelable, tant que le vote n’a pas lieu, restent des sujets encore ouverts mais je ne vois pas de points qui pourraient bloquer leur adoption.

La question des ambitions revues à la hausse n’est pas un problème, d’abord parce qu’elles n’ont pas beaucoup augmenté dans un texte ou l’autre discuté au Parlement ou au Conseil. Ensuite, la crise climatique avance inexorablement : il y aura probablement de plus en plus de voix en faveur d’un processus plus rapide et ambitieux. Quand on voit les drames provoqués par la sécheresse et la crise hydrique en Italie, il est facile d’imaginer que les questions portent surtout sur le niveau d’ambition des mesures envisagées.

En ce qui concerne l’électricité, on se trouve actuellement dans un dilemme : avec la guerre en Ukraine, le plan transition énergétique, dans lequel il est prévu que les centrales de charbon soient remplacées par des centrales de gaz, est remis en cause. Il faut impérativement savoir si on réussira à mettre en place assez vite l’énergie renouvelable qu’il nous faut ou s’il nous faut plus d’argent pour mettre en place d’autres infrastructures pour recevoir du gaz d’autre parties du monde : c’est difficile d’arriver à un bon équilibre, les prix de l’électricité sont si hauts qu’au sein du marché carbone il est impensable d’augmenter les prix. On est dans une période dans laquelle c’est difficile d’agir politiquement et en même temps on ne peut pas repousser l’action climatique, car il y aura d’autres enjeux qui pourront faire tourner le focus sur d’autres choses. La question c’est quand on devra réviser à nouveau ces textes car, par exemple, avec le paquet RepowerEU, la Commission elle-même a déjà recommandé de rehausser les objectifs.

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