Des eurodéputés allemands, de tous les partis, ont critiqué le fait que l’Europe n’est pas présente dans la campagne électorale allemande, qu’en pensez-vous ?
Je pense que grosso modo ils ont raison. Mais il faudrait préciser que l’Europe est très présente dans tous les programmes des partis. Si on lit les programmes, il y a de grands chapitres sur l’Europe, plusieurs chapitres parfois – à l’exception de l’AfD, donc de l’extrême droite qui milite contre l’Europe. On compte quatre sujets principaux dans les partis des favoris : la politique de défense et la sécurité, la gouvernance de l’euro, l’Europe et le climat, et les questions institutionnelles c’est-à-dire les réformes avec la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Je constate un grand décalage entre un engagement européen des partis, disons classiques, et le silence de leurs candidats.
Les candidats craignent de parler de l’Europe parce que l’électorat n’est pas réellement pro européen ? Est-ce qu’ils craignent de perdre des voix ?
Les Allemands sont très pro – européens ce que démontre encore une fois une étude de la fondation Heinrich Böll et das Progressives Zentrum, qui sort maintenant tous les ans. La dernière en date – pour la troisième fois avec 2021 – prouve, à nouveau, que les citoyens et les citoyennes allemands ne veulent pas que l’Europe échoue, ils veulent plutôt plus d’Europe.
Alors selon les questions – voulez-vous plus d’Europe, aux questions de gouvernance de l’euro, ou de politique de sécurité extérieure – on peut différencier les réponses mais, globalement, le sentiment allemand dans la population est très européen. Il ne reflète pas l’hésitation des candidats qui sont en décalage avec la population.
C’est très intéressant, donc pourquoi les candidats n’en parlent pas ?
C’est un paradoxe que je ne peux pas complètement expliquer. Une partie de la réponse est que c’est une campagne sur des personnes, donc généralement faible au niveau du contenu. Et, à part l’AFD, la droite populiste, les partis partagent le consensus pro-européen. Les trois candidats favoris gagnent peu, au niveau de leur image, à discuter de l’Europe. Ils prennent surtout le risque de donner des munitions à l’AfD, avec des sujets complexes, comme la gouvernance de l’euro, ou surtout avec le Plan de relance européen qui est très souvent intitulé « Transferunion » par l’AfD, qui veut ainsi faire passer le message que l’Europe est une Union où l’Allemagne paye pour les 26 autres. Dès que les candidats discutent de l’Europe, on n’est pas à l’abri des attaques des personnages affiliés à l’AfD, comme ceux qui ont encore porté plainte contre le Plan de relance européen à la cour fédérale constitutionnelle de Karlsruhe.
Pourtant le premier “trialogue” ou débat télévisé avec les trois candidats, Annalena Baerbock (les Verts), Armin Laschet (CDU), Olaf Scholz (SPD) portait sur l’Europe. Mais la presse était assez unanime pour dire qu’il n’y avait pas vraiment de différences entre leurs positions. Existe-t-il des différences ?
Ce sont surtout des priorités différentes. La CDU, Laschet, en particulier, se veut fort sur le chapitre politique extérieure et de sécurité. Tous les programmes ont été rédigés en juin donc nul n’a pu prendre acte de la débâcle en Afghanistan et ses conséquences pour la politique de la sécurité européenne et étrangère, mais il n’empêche que Laschet porte un grand plaidoyer pour responsabiliser l’Europe d’une certaine manière au niveau défense.
Le SPD néglige pas du tout la défense mais met actuellement la priorité sur le plan de relance donc sur les structures de la gouvernance de l’euro. Ce n’est pas un hasard puisque Scholz est ministre des Finances donc c’est lui qui a fait le plan Merkel-Macron, qui l’a négocié. C’est donc pleinement son sujet. Le SPD se défend bien sur quelques dossiers comme la stratégie d’emploi européen ou le salaire minimum européen ; au sein du SPD c’est au moins discuté. Pour le climat, ce sont évidemment les Verts qui misent sur la neutralité climatique carbone 2050.
Il faut quand même dire que ces 3 sujets – le climat, plus la gouvernance sur l’euro, plus la politique de sécurité – sont présents parmi tous les partis favoris. Des différences plus fortes se trouvent plutôt sur deux autres sujets : la crise des réfugiés, et les questions institutionnelles. Et là, on trouve plutôt chez les Verts et chez un jeune parti qui s’appelle Volt – un parti transnational européen qui en fait existe dans tous les pays européens – des positions progressistes, une politique des réfugiés plus humaniste. Et Volt, avec les Verts, poussent vers une citoyenneté européenne, la Conférence sur l’avenir de l’Europe, l’union politique, voire la République européenne. J’apprécie beaucoup Volt.
Et au niveau de la défense et sécurité commune il y a quand même des différences ?
Les différences ne sont pas nouvelles parce que le SPD a une armée européenne dans son programme depuis 1998 je pense. La CDU est toujours, disons, plus atlantiste ou mettant plus en avant l’atlantisme, le rôle de l’OTAN, les Américains. Donc, pas de politique extérieure européenne hors de l’OTAN, c’est toujours ça un peu le litige. Et les Verts ont toujours ce côté pacifiste, c’est pourquoi les questions de sécurité et de défense sont un peu négligées. Mais il y a des évolutions, pas encore prévisibles.
Donc qui va être le meilleur chancelier ou chancelière comme pro européen ? Qui va être le plus dynamique ?
J’ai du mal à juger. On a quand même 3 candidats en tête avec un cœur européen et ça, c’est important. Angela Merkel a toujours su lancer les sommets européens, elle a su trouver la solution après l’échec du projet de constitution, avec Lisbonne tout ça, mais ce qu’on lui reproche, toujours, depuis longtemps, c’est qu’elle n’a jamais eu une vision pour l’Europe, pour l’Union européenne. Pour ça, Laschet est plutôt vieille école CDU, il est plutôt de l’école de Kohl, il est lui aussi d’Aix la chapelle, l’Ouest de l’Allemagne avec Charlemagne, etc…. donc il a un cœur qui bat pour l’Europe. Scholz, je pense, a vraiment compris la problématique de l’euro-gouvernance et les Verts se sont dépêchés, ces dernières années, de doubler la CDU en tant que parti européen. Donc, je pense qu’on a quand même un pari sûr sur les 3 candidats, les 3 ont un regard européen, et c’est, je pense, déjà ça.
Donc là on voit un progrès mais qui peut donner le plus d’élan à l’Europe ?
On ne parle que des 3 candidats et pas assez des partis comme “ faiseurs de rois”. On aura toujours une coalition. Regardons un peu l’histoire de Merkel et de l’Europe. Par exemple en 2008 pendant la crise bancaire on a bien vu que Merkel voulait certaines choses et le FDP (les libéraux), son partenaire de coalition, l’a bloquée dans cette coalition noire – jaune. Maintenant, on va probablement avoir une coalition tripartite je pense, minimum, “jamaica” – à savoir rouge (SPD), Verts, jaune (FDP). Donc concentrer la vision européenne sur un des candidats à la chancellerie me paraît être un manque de lucidité.
Le Monde a publié un article soulignant que ces gouvernements des coalitions pourraient ne pas être de bon augure pour la France ! Les Français attendent désespérément des réponses. Par exemple, Emmanuel Macron, qui a fait des pieds et des mains avec Angela Merkel pour la défense commune et d’une politique extérieure en commun.
Je suis vraiment d’accord avec cette analyse. Donc on va voir si jamais le FDP sera au gouvernement, ce qui est probable hein ! On a très peu parlé du FDP mais il sera à la charnière de tout. Et même si le FDP a certainement un programme européen, il est le plus court. On a déjà constaté les énormes difficultés du FDP pour progresser sur ces questions de l’euro-gouvernance qui sont si chères à Macron puisque ce sont ses dossiers.
Macron brûle pour la politique européenne de sécurité, mais ce sont toujours les mêmes litiges. On discute ça depuis 20 ans, 10 ans, 30 ans. Concernant par exemple le Mali, au Sahel, on a bien compris que là, maintenant, la France va réduire ses troupes et demande à l’Allemagne un plus grand engagement. Mais l’absence du Royaume-Uni rend toutes les questions de politique extérieure et de sécurité encore plus compliquées parce qu’il y a un manque de confiance vis-à-vis de la France. Il y a toujours le réflexe atlantiste en Allemagne. La France attend désespérément des réponses, qui ne sont pas venues. C’est uniquement le plan de relance qui est un élément de réponse.
On ne peut pas s’attendre à un miracle pour vraiment faire avancer l’Europe maintenant ?
Non je ne dirais pas, mais ce qu’il ne faut pas oublier c’est que Mme von der Leyen, une Allemande et ex-ministre, organise la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Cela n’est pas un miracle mais une belle chose, on consulte les citoyens, on crée toute une mécanique pour avoir une réflexion sur l’avenir de l’Europe. Le rapport de la conférence va être présenté en juin 2022. Mais jusque-là on ne peut pas s’attendre à grand-chose car on a beaucoup d’incertitudes et l’Europe va être encore être gérée par la débrouille. Former une coalition en Allemagne va nous amener à fin 2021. Ensuite, le gouvernement aura ses premiers 100 jours, où il ne va pas faire grande chose et cela va nous amener en mars et puis après on va attendre, je pense, les élections en France au mois d’avril. Ensuite en juin nous aurons les conclusions de la conférence. A ce moment, on verra ce que va faire le Conseil européen, avec ses conclusions et surtout la France et l’Allemagne, ce sera le moment décisif pour l’Europe.
Quel est le pire scénario en Allemagne pour l’Europe ?
Un scénario inquiétant, peut-être, serait que l’Allemagne ait des problèmes à négocier une coalition gouvernementale. Et ça risque d’être compliqué parce qu’on n’a jamais eu 3 partis qui ont tous à peu près 20%. Et si l’Allemagne traîne l’Europe va traîner. Et la France attend des réponses sur des sujets importants depuis longtemps. Mais le pire est que l’Allemagne peut mettre l’Europe dans une impasse. Si l’Allemagne est gouvernée par une coalition avec des libéraux qui bloquent, par exemple, sur la question de l’euro-gouvernance que Scholz veut voir avancer. Il y aussi le risque que le FDP ou les Verts bloquent au niveau la défense et la politique étrangère commune si chers à Macron.
Qu’est ce vous souhaitez au niveau des élections allemandes ?
Je souhaite que les partis réalisent un agenda politique avec des sujets importants comme la politique extérieure et de la sécurité, le climat, l’institutionnalisation, la crise migratoire, mais qu’ils aient aussi, en vrai, cette vision politique qu’on néglige depuis 20 ans. Mon rêve est qu’on réfléchisse sérieusement à une République européenne ; d’ailleurs c’est dans le programme des Verts, ils le mentionnent trois fois. Aussi, la cheffe de tête du parti Volt à Cologne disait récemment : “nous, on veut la république européenne. Je sais bien que ce qui est dans un programme de parti n’est pas encore la réalité, mais au moins ce n’est plus une utopie. C’est au moins dans un programme de parti et donc, je suis d’avis qu’on arrête toutes ces politiques hésitantes et qu’on aille beaucoup plus loin sur l’agenda européen et sur l’agenda franco-allemand. Car c’est uniquement ensemble que l’on peut relever le défi posé par les gouvernements populistes et autoritaires en Pologne ou en Hongrie.