La « politique » de la Commission européenne en matière d’immigration légale : bonnes intentions, impact limité

Le 27 avril, la Commission a proposé un ensemble de cinq mesures différentes visant à faciliter l’immigration légale vers l’UE en provenance de pays tiers. Bien que les mesures individuelles soient utiles, elles ne contribueront guère, à elles seules, à créer davantage de possibilités d’immigration, car l’accès au marché du travail de l’UE est contrôlé par les États membres. 

Pour mettre les mesures proposées en perspective, il est utile d’examiner le contexte plus large des compétences de l’UE et des États membres en matière de politique d’immigration légale. L’UE établit principalement les règles de procédure, certains droits des migrants et le cadre juridique général de l’immigration légale, y compris le regroupement familial, le travail et les études. Dans ce cadre, chaque État membre décide du nombre de citoyens de pays tiers qu’il admettra sur son marché du travail, ce qui, en fin de compte, déterminera également le nombre d’immigrants pouvant bénéficier du regroupement familial.  

On peut soutenir que cette répartition des compétences entre l’UE et les niveaux nationaux reflète le principe de subsidiarité : les systèmes de protection sociale (y compris les politiques actives du marché du travail et l’assurance chômage), les performances du marché du travail, les pénuries de main-d’œuvre perçues et, partant, le potentiel de migration de main-d’œuvre mutuellement bénéfique en provenance de pays tiers, diffèrent tous d’un État membre à l’autre. Il semble donc logique de « rattacher » les immigrants au marché du travail et au système de protection sociale de l’État membre qui les a admis en premier, jusqu’à ce qu’ils puissent prétendre au statut de « résident de longue durée dans l’UE » en remplissant des conditions telles que la résidence minimale, l’intégration sociale (y compris la connaissance de la langue de l’État membre) et l’autonomie économique. Ce n’est qu’à ce moment-là que les citoyens de pays tiers peuvent chercher un emploi dans d’autres États membres de l’UE, d’une manière largement similaire à celle dont bénéficient les citoyens de l’UE en matière de libre circulation.  

Dans le même temps, le fait de laisser aux États membres le soin de décider du nombre de travailleurs migrants issus de pays tiers qui peuvent entrer dans l’UE soulève au moins deux problèmes. Premièrement, un État membre qui encourage l’immigration réduit inévitablement les possibilités d’emploi des citoyens des autres États membres : l’immigration remplacera probablement une partie de la mobilité intra-UE des travailleurs qui se produirait autrement. Il n’est pas évident de savoir si, par conséquent, les différents États membres admettront « trop peu » ou « trop » d’immigrants du point de vue de l’UE – mais il y a clairement un « effet externe » sur les autres États membres et leurs citoyens.

Deuxièmement, il devient difficile pour la Commission européenne d’utiliser les possibilités d’immigration légale en tant qu’outil politique – par exemple, pour permettre aux réfugiés d’accéder à la protection de l’UE en toute sécurité (actuellement, la plupart des réfugiés entrent dans l’UE de manière irrégulière) ou pour offrir des possibilités d’immigration légale substantielles dans le cadre d’accords généraux avec les pays d’origine africaine sur la gestion des migrations (de la même manière que le règlement sur les Balkans occidentaux en Allemagne fournit des visas de travail aux demandeurs d’emploi des Balkans occidentaux dans le cadre d’un cadre de coopération plus large, notamment sur la gestion des migrations).   

Ces défis expliquent pourquoi l’affirmation de la Commission, le 27 avril, selon laquelle elle propose une « politique ambitieuse (…) en matière d’immigration légale » semble exagérée. Les améliorations législatives proposées, telles que la rationalisation des procédures de délivrance du permis unique de travail et de séjour, sont les bienvenues. Toutefois, cette rationalisation ne réduira pas en soi les délais d’attente pour les entretiens de visa dans les ambassades des États membres dans les pays tiers. En effet, ces délais d’attente sont souvent cités comme un obstacle majeur à la migration vers l’UE. Les révisions proposées de la directive sur les résidents de longue durée visent à améliorer la mobilité des citoyens de pays tiers dans l’UE uniquement après qu’ils se soient pleinement intégrés dans un État membre de l’UE (sinon, ils ne pourraient pas prétendre au statut de « résident de longue durée UE » en premier lieu). Le nombre d’immigrants qui bénéficieront des changements de règles proposés devrait donc rester faible. 

Les mesures proposées en faveur des partenariats pour les talents (en bref, la formation de travailleurs dans les pays en développement afin qu’ils puissent répondre aux exigences des emplois tant dans leur pays que dans l’UE) et d’une réserve de talents (une plateforme numérique permettant de mettre en relation les candidats à l’emploi provenant de l’extérieur de l’UE – initialement d’Ukraine – avec les offres d’emploi de l’UE) vont dans le bon sens pour promouvoir une migration qui profite à toutes les parties concernées. Cela dit, l’expérience montre que les partenariats de compétences (« talents ») comportent inévitablement un élément bilatéral fort : ils offrent une formation qui s’appuie sur l’éducation, l’expérience professionnelle et les compétences linguistiques des stagiaires (toutes spécifiques au pays d’origine) pour améliorer leurs compétences professionnelles en vue de leur utilisation dans leur pays d’origine et dans le pays de destination (avec une exigence de qualifications formelles et de compétences linguistiques spécifiques). Étant donné que les exigences professionnelles dans les pays à hauts revenus sont à la fois exigeantes et spécifiques à chaque pays, les autorités des États membres de l’UE, les partenaires sociaux, les entreprises et les prestataires de formation professionnelle devront tous être fortement impliqués pour que les partenariats de compétences soient un succès à une échelle suffisante. L’UE ne sera probablement guère plus qu’un facilitateur ou un sponsor financier dans ce domaine. Bien entendu, la structure bilatérale d’un partenariat de compétences peut devenir plurilatérale lorsque plusieurs pays d’origine ou de destination partagent la même langue, le même système éducatif ou les mêmes exigences professionnelles. 

Avec la réserve de talents proposée, il sera intéressant de voir quels candidats (en termes d’éducation, de profession, de compétences linguistiques, etc.) cherchent des emplois et reçoivent des offres dans plus d’un État membre de l’UE. De nombreux migrants trouvent des emplois à l’étranger grâce à leurs réseaux informels ; il peut être difficile de codifier et de transmettre ces informations via une plateforme numérique. Pour de nombreux emplois qualifiés, la connaissance de la langue du pays de destination est essentielle, ce qui réduit l’éventail des pays de destination accessibles à un même migrant.

La cinquième série de mesures proposées par la Commission est encore vague, mais elle comprend un programme de travail et de voyage dans l’UE pour les jeunes des pays tiers. Ce programme serait très attrayant s’il permettait à des personnes de se rendre en Europe alors qu’elles ne peuvent actuellement pas obtenir de visa pour l’espace Schengen, faute de moyens financiers et en raison de réglementations strictes en matière de visas. 

Dans l’ensemble, les propositions de la Commission représentent donc des mesures pragmatiques et utiles pour développer le cadre juridique de la migration légale de main-d’œuvre vers l’UE. En elles-mêmes, toutefois, ces propositions n’augmenteront pas de manière substantielle les possibilités d’immigration pour les citoyens non européens. Le contrôle de l’accès au marché du travail par les États membres est conforme au principe de subsidiarité, dans la mesure où il permet aux États membres de concevoir leurs politiques d’immigration en fonction des pénuries de main-d’œuvre et des tendances démographiques qu’ils perçoivent. En outre, l’implication des États membres est également cruciale pour réussir à étendre les projets pilotes existants de partenariats de compétences avec les pays à revenu faible ou intermédiaire. Dans le même temps, le contrôle exercé par les États membres peut s’avérer insuffisant lorsque la Commission européenne cherche à utiliser les possibilités de migration vers l’UE comme un outil politique – par exemple dans le cadre de la gestion conjointe de la migration avec les pays d’origine africains. Dans ce cas, la coordination entre les États membres (ou du moins, les États membres « volontaires ») pour obtenir des engagements sur l’accès au marché du travail serait nécessaire pour une conception efficace de la politique.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :