Elles font bouger l’Europe – Égalité femmes-hommes en droit européen

En tant que Maître de conférences en droit européen, en quoi est-ce opportun de comparer les législations concernant les droits des femmes ? Que pensez-vous de la clause de l’Européenne la plus favorisée ? Les Institutions nationales et européennes doivent-elles faire un benchmark pour améliorer les droits des femmes ?

Véritable laboratoire juridique, l’Union européenne permet une acculturation juridique, un syncrétisme juridique. Il y a un schéma circulaire en fait, puisqu’on souhaite harmoniser les droits des femmes, donc on regarde les droits nationaux. On passe ainsi par l’Union européenne et ensuite on revient vers les droits nationaux à travers notamment la transposition des directives puisque c’est l’instrument juridique. C’est le véhicule juridique le plus communément utilisé par l’Union européenne et qui permet de préserver autant que possible la diversité des sensibilités nationales par rapport aux questions de société.

Le petit bémol que j’apporterai à ce tableau que je veux assez optimiste et enthousiaste c’est que, dans une Union européenne à 27, il n’est pas toujours facile de favoriser le mieux-disant que ce soit le mieux-disant social ou sociétal. La Commission européenne fait du Benchmarking depuis 1957, période depuis laquelle elle légifère (ce qui n’était pas le dans le cadre de la Communauté européenne du charbon et de l’acier). Donc il y a ce travail d’étalonnage d’évaluation de comparaison.

Malheureusement, le travail de la Commission européenne est entravé par la diversité des sensibilités nationales, ainsi que par les conjonctures qui ne sont pas forcément toujours favorables. Pour favoriser une meilleure réaction, une action plus ambitieuse, plus audacieuse de l’Union européenne en matière de droits des femmes, c’est aussi l’autre Europe, l’Europe des droits de l’Homme. C’est aussi ce travail que peut faire le Conseil de l’Europe qui est plus attaché ontologiquement depuis l’origine au respect de la dignité humaine. Donc il faut aussi penser à cette dialectique qui existe entre les 2 Europe, l’Europe longtemps économique, mais qui cherche à se diversifier, et l’Union européenne.

Pouvez-vous nous raconter la jurisprudence européenne qui a fait le plus avancer les droits des femmes ?

L’affaire Tanja Kreil une jurisprudence allemande illustre bien les avancées des droits des femmes. Madame Kreil souhaitait donc être recrutée par l’armée allemande. Toutefois, à l’époque en 2000, l’armée allemande ne prévoyait le recrutement des femmes que dans 2 corps bien précis de l’armée allemande. C’était soit dans les corps de la musique militaire d’une part, et d’autre part dans la branche de santé. Ainsi, dès qu’il s’agissait de porter une arme la législation allemande excluait le recrutement des femmes. Les femmes ne pouvaient donc pas être recrutée dans l’armée allemande. Madame Kreil quant à elle souhaitait avoir un emploi d’électromécanicienne mais les électromécaniciens dans l’armée allemande portent quand même une arme. Déçue de cette décision, elle a porté l’affaire devant le juge allemand qui a posé une question préjudicielle à la Cour de justice. L’’Allemagne a invoqué le fait que l’organisation des forces armées était de compétences réservées de la part des États. Et l’Union européenne n’a pas vocation à se prononcer sur la façon dont les États organisent sa défense, ou son armée. La Cour de justice a quand même considéré que bien qu’effectivement les questions de défense nationale échappent aux prérogatives de l’Union européenne, le principe de non-discrimination devait venir encadrer l’exercice de ses compétences. En ce sens, le titre de compétence relève bien des États mais l’exercice de cette compétence doit se faire dans le respect de certains principes fondamentaux de l’Union européenne, comme le principe de non-discrimination.

La Cour de justice a considéré que la législation allemande était discriminatoire. Cette dernière a donc dû être réformée et permettre le recrutement des femmes.

Selon vous, l’Union européenne est-elle l’espace naturel pour faire progresser les droits des femmes ?

Je dirais que c’est le pire des instruments à l’exception de tous les autres. Pour paraphraser cette formule de Churchill à propos de la démocratie. La réflexion est exactement la même avec celle de l’Union européenne et du droit des femmes: le niveau national est trop étroit et le niveau international manque d’effectivité. Il est difficile de régir, de légiférer de manière multilatérale en matière de droits des femmes, y compris dans le cadre du droit international régional, y compris au sein du Conseil de l’Europe. L’Europe représente un meilleur cadre que celui de l’international ou du national puisqu’il y a quand même une certaine forme de proximité entre les États, des habitudes de travail, de relation et de confiance. Ce qui est certain, c’est que ce sont des problématiques qui sont chères au cœur de l’Europe et dans l’Europe. Donc il y a à la fois une part de conviction, une part de volonté, de volontarisme politique.

Il y a aussi une part de légitimation. La construction européenne se légitime en montrant qu’elle n’est pas simplement un marché, en montrant qu’elle est capable de lutter contre le changement climatique en montrant qu’elle veut lutter contre les violences faites aux femmes, promouvoir les droits des femmes de manière plus large.

Quelles ambitions imagineriez-vous pour la clause de l’européenne la plus favorisée dans dix ans ?

Plusieurs exemples dans l’histoire de la construction européenne ont démontré que l’Union européenne peut être le vecteur d’innovation juridique dans les États membres. Toutefois, il y a toujours un tableau contrasté. Vous avez des États qui sont en avance par rapport au droit de l’Union européenne, qui sont plus audacieux, et qui vont plus loin. L’Union européenne ne doit pas – comme c’est le cas parfois – avoir pour base le plus petit dénominateur commun. Le compromis ne se fait pas sur des bases insuffisantes, insatisfaisantes. Donc, la Clause de l’Européenne la plus favorisée est une belle idée, qui a vocation d’ailleurs d’aller au-delà. En effet, cette clause peut montrer la voie pour les droits des femmes, mais aussi pour d’autres thématiques importantes en termes de progrès social, en termes de développement.

Quel est le meilleur moyen selon vous pour que cette clause aboutisse ? La clause de flexibilité ? La clause de subsidiarité ? Un nouveau traité ? Une charte ? Des sanctions ?

La clause de subsidiarité, c’est un instrument à double tranchant. C’est également un instrument qui est tributaire de l’usage que l’on en fait, tributaire du climat politique dans l’union européenne. C ‘est un principe juridique certes, mais c’est un principe qui est très dépendant du climat politique. Si vous avez plusieurs États qui sont proactifs en matière de droits des femmes, le principe peut être utilisé en faveur des droits des femmes. Ça peut être aussi au contraire un prétexte afin que les États se replient sur eux-mêmes et que chacun fasse un petit peu ce qu’ils souhaitent. Surtout que le principe de subsidiarité ne vaut que pour les compétences partagées, donc il ne va pas permettre d’agir dans tous les domaines. Donc le principe de subsidiarité, la clause de subsidiarité a une portée étroite. Il est difficile de dire que la subsidiarité pourrait être un instrument favorable au développement et à la promotion des droits des femmes.

Dans les traités, il y a la clause transversale, l’article 8 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui prévoit que les questions de genre doivent être intégrées dans l’ensemble des politiques de l’Union européenne. C’est une démarche qu’on connaît dans d’autres domaines, appelé le « Gender Mainstreaming », c’est-à-dire l’implantation des questions de genre dans les différentes politiques. Le « traité » est une approche intéressante mais pas suffisante. En effet, l’implantation, l’intégration des questions de genre dans les autres politiques va être tributaires des arbitrages politiques, des rapports de force politique, des marchandages.

On a aussi la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Son article 23 fait référence à l’égalité et aux questions de genre, ainsi qu’à la promotion des droits des femmes. Instrument intéressant, il peut être utilisé par le juge européen pour interpréter l’ensemble des textes, soit les directives ou les traités européens. L’existence de cet article dans la charte des droits fondamentaux est favorable au droit des femmes.

En ce qui concerne les sanctions, je pense que l’Union européenne aurait tout intérêt à travailler avec le Conseil de l’Europe sur les questions de droit des femmes pour favoriser un développement dans l’espace pan-européen de la promotion des droits des femmes, et pour s’appuyer sur l’expertise du Conseil de l’Europeen la matière. Je voudrais rendre hommage à une grande Professeure du Collège de France, Mireille Delmas-Marty, qui nous a tristement quittés il y a peu. Elle faisait souvent référence à cette capacité d’exportation des normes de l’Union européenne, et à ce marché des normes, puisqu’il existe une rivalité. Il serait intéressant de développer une approche européenne qui, bien sûr, ne pourrait pas être uniforme, et qui devrait tenir compte de la diversité des sensibilités. Donc en fait, il n’y a pas de solution miracle. En revanche, on peut combiner ces différents éléments les uns avec les autres pour aboutir de manière patiente, méticuleuse, déterminée, et ainsi améliorer le sort des femmes ; parce qu’améliorer le sort des femmes, c’est améliorer le sort de l’ensemble des Européens.

Un mot de fin ?

Je pense que la femme est l’avenir de l’Europe. Et ce serait tout à l’honneur de l’Europe de s’emparer de ce combat de manière encore plus forte qu’elle ne le fait aujourd’hui, afin de promouvoir un autre type de rapports, de rapport à l’autre, de rapport à l’altérité, que ce soient les femmes, que ce soit l’environnement, une manière de vivre un modus vivendi qui soit plus satisfaisant.

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